Egarement Cérébral.D'abord M. Cortambert a passé sans y répondre à côté des réfutations du Libertaire. Ensuite, de la Négation de Dieu ou Dieu n'est pas, qui est aussi une Affirmation de la Matière, la négation et l'affirmation n'étant pas, comme il semble le supposer deux idées différentes, mais bien deux variétés d'une seule et même idée, il n'en a reproduit qu'un paragraphe, et encore l'a-t-il écourté à sa guise, supprimant arbitrairement les quelques lignes qui suivent et qui font corps avec la citation. Puis, il me fait dire ailleurs ce que je n'ai pas dit ; il me fait taire plus loin ce que j'ai dit. Enfin, il induit tout au long ses lecteurs en erreur sur la nature de mes arguments. Que veut-il donc que je pense de lui ? que veut-il que les gens de logique pensent ? Est-ce là, selon lui, la manière de chercher la lumière ? est-ce là surtout la manière de la répandre ? Pour l'honneur de M. Cortambert, je voudrais me figurer que ce n'est pas lui qui rédige tous les articles qu'il signe, ceux du moins où il est question de Dualité, et auxquels dorénavant le Libertaire se gardera de répondre, attendu qu'ils sont du domaine du Charivari, et non de la Discussion sérieuse. En les écrivant, M. Cortambert qui, en sa qualité de spiritualiste, croit encore à Dieu, le Dictateur Tout-Puissant, et cultive en plein XIXe siècle la manie ou la maladie des revenants, dont, par parenthèses, il enregistre gravement les prétendus faits et gestes dans le même numéro où il manque de place pour citer le Libertaire, M. Cortambert, il faut le supposer, n'a été que le médium négatif ou passif de quelque esprit fallacieusement positif ou actif, le revenant de sa troisième page peut-être, qui s'est bel et bien moqué de lui et de son public. Car comment admettre qu'un homme, ayant le plein exercice de ses facultés mentales, puisse s'amuser, sous prétexte de Dualité, à mettre en duel les unes contre les autres les innombrables lignes consécutives de six colonnes d'un grand journal, la seconde démentant la première, la troisième démentant la seconde, et ainsi de suite jusqu'à la fin ? En veut-on une preuve : A défaut de son article que je n'insère pas en entier, la réciprocité n'existant plus, j'en détache deux extraits, deux coupures de paragraphes : ... Si, après avoir promené mes regards sur l'univers, je me renferme en moi-même, si j'écarte toute préoccupation extérieure, échapperai-je enfin à la dualité ? Non ; c'est là, c'est dans mon être que je la trouve plus évidente, plus irrécusable que partout ailleurs. C'est là que je découvre le MOI, ayant conscience de lui-même, de ses facultés, des phénomènes qu'il produit, et les distinguant parfaitement des phénomènes qui ne dépendent pas de lui, quoiqu'ils se produisent dans la matière qu'il appelle son corps ; le MOI qui persiste, qui reste invariablement lui-même, qui s'affirme sans hésitation, au milieu des changements qui modifient sans cesse et renouvellent complètement en peu d'années toute la matière de ce corps. S'il n'y a pas la dualité, s'il n'y a pas distinction radicale entre ce moi, cette raison toujours une, toujours identique à elle-même, et l'organisme toujours variable, toujours différent de ce qu'il était le moment d'avant, il faut renoncer à la certitude, à la logique, à l'usage de la pensée et de la parole... Comme on le voit, M. Cortambert parle de l'esprit et de la matière, de la dualité. Mais en parler n'est pas l'affirmer. Pour l'affirmer, il faut prouver, et c'est ce dont il se garde bien, et pour cause ! Prenant son [impassible] et pitoyable hypothèse pour une savante réalité, il suppose la matière inerte et l'esprit immuable. Mais un esprit immuable peut-il mouvoir une matière inerte ? La chose est-elle admissible, sans renverser, comme il a la rationnelle naïveté de le faire, l'évidence scientifique ? Si l'Esprit ou, comme il l'appelle ici, " la Raison est toujours une, toujours identique à elle-même, " n'est-ce pas la négation du progrès et, par contre, l'affirmation de l'immobilisme corporel ? Si la Matière ou, ce qu'il appelle ici "l'organisme est toujours variable, toujours différent de ce qu'il était le moment d'avant," n'est-ce pas l'affirmation du mouvement, c'est-à-dire du progès , et, par contre, la négation de l'immuabilité, c'est à-dire de l'immobilisme [raisonnel] ? O homme de peu de logique, est-ce que la raison peut, sans péril pour les deux, se trouver en duel avec l'organisme ? Est-ce que le moi-esprit peut se séparer du corps-matière sans cesser d'être le moi ? Tant que ce moi existe et fonctionne, n'est-il pas un et identique au corps, le physique souffrant quand souffre le mental, le mental souffrant quand souffre le physique ? Bien plus, le [raisonnel], loin d'être la cause ou l'ouvrier du corporel, n'en est-il pas, au contraire, l'effet ou le produit, comme la flamme est le produit de la bûche ? Lorsque votre corps ou la bûche sera consumé, est-ce que ce que vous appelez l'âme pour le corps, et ce qu'on appelle la flamme pour la bûche, ne se dispersera pas, dans toutes les directions et selon ses affinités, en infinies parcelles ? Et durant votre vie même, est-ce que votre moi intellectuel ou moral comme votre personnalité physique, ne subit pas tous les jours, selon le travail moléculaire interne et externe, une perpétuel transformation ? Le [raisonnel], ose-t-on dire, ne change pas avec le corporel. Voilà qui est curieux ! M. Cortambert pourrait-il nous dire si sa raison est toujours demeurée identique, si elle est toujours la même de ce qu'elle était à la naissance de son corps ? Il se peut qu'elle soit retombée en enfance ; mais pour y retomber il fallait qu'elle se fût élevée, qu'elle eût varié. En définitive, où voit-il la dualité ? Où est l'immatériel ? Où n'est pas le matériel ? Moi, je ne vois partout que l'unité dans son infinie variété. La conscience universelle comme la conscience individuelle n'est et ne saurait toujours être que le résultat du mouvement infini, et par conséquent imparfait et progressif, ascensionnel, de la matière infinitésimale, mouvement identique à la matière même et qui produit les [atômes], les organes, les corps, les mondes, dont se compose l'universalité harmonique, et dont les sensations socialisées accouchent, pour ainsi dire, perpétuellement d'une synthèse toujours changeante, jamais immuable, et qui ne peut pas, étant née de la matière, être autre chose que matérielle. Que M. Cortambert persiste, si tel est son bon plaisir, à se boucher les yeux et les oreilles, mais alors qu'il renonce aussi " à l'usage de la pensée et de la parole. " Après avoir discouru de la sorte sur la Dualité, le rédacteur de la Revue de l'Ouest dit plus loin : ... .Il [M. Déjacque] veut une unité autonome, c'est-à-dire se gouvernant elle-même ; mais, en vérité, c'est ce que nous voulons aussi, c'est ce que nous voyons, c'est ce que nous proclamons. Seulement, il donne à cette unité le nom de Matière, tandis que nous l'appelons Raison. Sommes-nous d'accord ? Nous dirions oui, très-volontiers... Certes ! il faut l'avouer, ceci est par trop fort !. De quelle force ?... Je ne sais au juste, mais ce n'est pas assurément de la force d'un homme... Eh quoi ! M. Cortambert, vous voulez l'unité maintenant, dites-vous, et vous l'appelez Raison ou Dieu. Mais que faites-vous de la matière alors ? Et comment conciliez-vous l'Unité avec la Dualité, deux choses qui se nient, qui s'excluent réciproquement ? Il est vrai que, faisant de la Matière la femelle ou l'esclave, et de la Raison ou Dieu le mâle ou le maître, la Matière ne compte pas : c'est un zéro placé devant Dieu, et qui ne le modifie en rien. Aussi la divine Raison, malgré cette adjonction, conserve-t-elle toujours l'unité. C'est on ne peut plus joli.... mais je ne vous en fait pas compliment. Et
M. Cortambert s'évertue à pérorer ainsi sur le même
air tout le long de l'article, et cela en conjuguant à l'adresse du Libertaire,
qui, à l'encontre de lui, nie Dieu, cette immonde imposture, et
affirme la matière une et infinie dans son autonomie, l'être universel
et réel dont rien n'est négatif ou passif, mais dont
tout est positif ou actif : Eh ! non, M. Cortambert, je le dis avec tristesse, nous ne sommes pas d'accord, nous ne le sommes pas du tout. Il faudrait, pour que cela devint possible, que vous le fussiez préalablement avec vous-même. Mais c'est là un espoir que je n'ai guère. Je m'étais, j'en ai bien peur, illusionné sur votre compte. Aujourd'hui, je ne peux plus avoir, je n'ai plus confiance en vous. L'homme qui jésuitise est bien près d'être un jésuite, s'il ne l'est déjà. Voltaire, schismatique, mais déiste, est rentré, dit-on, à l'heure de la mort en grâce avec l'église de Rome. Si vous n'avez pas la force ou le courage, l'intelligence d'adjurer Dieu, ses pompes et ses uvres, Dieu, l'absolutisme et l'arbitraire en principe, vous aussi, vous rentrerez un jour dans le sein de l'Eglise romaine, ce centre de gravité de la Superstition dont votre spiritualisme n'est qu'une éphémère expansion, et vous irez offrir au pape le vasselage de votre plume, comme le boucher Lamoricière la domesticité de son épée. Pour conclure, j'ajouterai que M. Cortambert s'est constamment tenu en dehors du cercle qu'il avait tracé. Il avait à prouver la Dualité de l'esprit et de la matière, l'autorité divine et la sujétion des mondes ; à établir logiquement le gouvernement du spirituel sur le matériel, à démontrer enfin ce qu'il avait avancé, à savoir : que la matière est nécessairement négative ou passive, et qu'il existe nécessairement un esprit positif ou actif qui l'anime et la gouverne. A-t-il résolu le problème ? A-t-il donné une solution affirmative de ces deux propositions ? Mon avis est qu'il n'en a pas soufflé mot. Il n'a déployé en lignes six colonnes d'artifices que pour masquer sa retraite : il a déserté le fond de la question en présence de l'ennemi. |
[article précédent] [article suivant] [sommaire du n°24] [accueil]