Les Torturés de la Sainte-Exploitation.On lit dans une correspondance du Bien-Etre Social : Cétait avant-hier, à la Chambre des Communes : il sagissait dun bill dont leffet sera détendre aux blanchisseries et teintureries lapplication de la loi pour la protection des femmes et des enfants. Un M. Furner, au nom de léconomie politique et de la liberté des transactions, sopposait à la seconde lecture de ce bill. M. Rbuck prit la parole et dit : Jétais encore au commencement de ma carrière parlementaire, quand lord Ashley, aujourdhui lord Shaftesbury, proposa un bill de cette espèce. Economiste ardent, je mopposai à cette mesure et établis une distinction, que je renouvelle aujourdhui, entre les hommes, les femmes et les enfants. Les femmes et les enfants, selon moi, ne sont pas sui juris ; ils ne sont pas leurs propres maîtres, et sont sous le contrôle dautrui. Je ne voudrais donc pas intervenir en ce qui concerne les hommes, mais je veux intervenir entre les femmes et les enfants et ceux qui les emploient. Cependant, je combattis à cette époque-là le bill de lord Ashley, influencé que jétais dans mon opposition par ce que disaient les maîtres du Lancashire. Ils déclaraient que cétait la dernière demi-heure de la journée qui faisait tout leur profit, et quen abrégeant la journée de travail de cette demi-heure nous ruinerions les manufacturiers dAngleterre. Jécoutai cet argument et je tremblai pour les manufacturiers dAngleterre. (On rit.) Mais lord Ashley persévéra, et son bill passa. Depuis lors les manufactures dans ce pays-ci ont été soumises au contrôle de lEtat : et je demande si les manufacturiers ont souffert ? (Applaudissements.) Lhonorable membre qui renouvelle aujourdhui cette objection et présage toutes sortes de maux si nous intervenons, a passé sous silence les maux quil sagit de prévenir par cette intervention. (Ecoutez, écoutez.) Permettez-moi dextraire quelques faits du rapport de M. Fremenheere, et de vous demander ensuite à vous, pères et frères de femmes et denfants anglais, si vous ne voudrez pas en finir avec de telles horreurs. (Ecoutez.) Il y a dans le livre que jai à la main des passages qui me font bouillir le sang dans les veines ; et quand lhonorable membre nous dit que les manufacturiers de Manchester souffriront, je ne puis que répondre : Eh bien ! quils souffrent. (Bravo, bravo.) Peu mimporte de savoir sil y a analogie ou non, sous le rapport de loffre et de la demande, entre les blanchisseries et les autres manufactures. Ce que je sais, cest quil y a analogie entre les souffrances que les uns et les autres imposent à ceux quils emploient, et, par conséquent, même raison dintervenir. Mais voici les passages du rapport Fremenheere.
« John Hamer, finisseur. Je suis depuis 14
ans dans la blanchisserie. Il mest arrivé de travailler depuis 5
heures du matin jusquà 6 heures du matin suivant (25 heures). Tout
le monde travaillait le même nombre dheures, aussi bien les enfants
que les adultes. Je suis souvent si fatigué, quoique je sois un homme,
robuste, que je suis forcé de masseoir sur le bord de mon lit quand
je me lève le matin, et mes doigts sont si endoloris que je puis à
peine mhabiller. Si jéprouve une pareille fatigue, que doivent
éprouver de jeunes filles et de jeunes garçons ? » Et nous nous plaignons amèrement continue M. Roebuck, des heures de cette Chambre ; et si, venus ici à quatre heures avec le loisir de dîner à sept, nous ne retournons chez nous quà deux heures du matin, nous nous écrions : Quels travaux de nuit nous avons eus ! (On rit.) Eh bien, pensez à ces pauvres enfants de dix à quatorze ans, qui, eux, nont ni loisir ni bon dîner, et qui, au lieu dêtre assis comme nous sur ces coussins comfortables, sont obligés de se tenir sur leurs pauvres petites jambes fatiguées pendant des heures et des heures. (Ecoutez, écoutez.) Pensez-y et comparez ces travaux à notre vie, la vie de ces enfants est une vie de damnés. (Ecoutez, écoutez.) Je continue : « Phitian Monks.
Je suis contre-maître de la manufacture où sont employées
ces trois jeunes filles. Jai travaillé comme elles du vendredi matin
au samedi matin, et tout ce quelles ont dit est exact. » Je vous le demande, Messieurs, reprend Rbuck, souffrirez-vous cela ? (Applaudissements.) Jentends beaucoup parler dhumanité du bout des lèvres à propos des esclaves dAmérique. Nul plus que moi nest indigné de lhorrible condition que lAmérique fait aux noirs ; mais je ne regarde pas avec moins dindignation la condition des esclaves blancs dAngleterre. (Bravo, bravo.) A ce propos, une histoire touchante, et qui renferme une sévère leçon, me revient à lesprit. M. Oatler se promenait un jour avec feu Sir Robert Peel dans la magnifique galerie de peinture de celui-ci. M. Oatler insistait fortement sur la limitations des heures de travail dans les manufactures. Sir Robert Peel, le grand économiste, soutenait que lintervention de lEtat était impolitique. Ils arrivèrent en longeant la galerie à un tableau charmant, de Landseer, je crois, et que nous connaissons la plupart, le portrait dune des filles de Sir Robert Peel. Arrivé là M. Oatler sarrêta soudain, et, montrant le tableau : Mon dieu ! Sir Robert ! cette enfant aurait pu être une enfant de manufacture ! Oui, nos filles à tous pourraient être des enfants de manufacture ; et y a-t-il un homme ici qui puisse penser à cela sans frémir ? (Ecoutez, écoutez.) Pensez à ces tendres années, pensez à ces pauvres petites mains délicates ! Jai là, dans ce livre, que les mains de ces pauvres enfants sont souvent déchirées, leurs pieds meurtris, et quil faut, malgré cela, quelles continuent à travailler ; et que, pour les tenir éveillées cest lenquête qui le constate on frappe, auprès delles, sur des tables avec des grandes planches. Au nom du ciel, Messieurs, si vous êtes des hommes, des pères, des frères, ne soyez pas complices de tant de cruautés ; (applaudissements) et ne vous exposez pas à vous entendre dire : Vous avez abandonné ceux dont vous aviez charge, le faible, le pauvre, le malheureux ; vous navez pensé quà vous-mêmes et à ceux qui sont comme vous, riches et puissants. M. Rbuck la emporté sur M. Furner, et la seconde lecture du bill a été votée par 226 voix contre 33. |
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