Objections.SECTION PREMIERE. Qu’est-ce que Dieu ? dit notre correspondant. Et il commence par nier
Dieu, et il continue la négation en disant : “ Je crois à vous
et à moi, à la terre et au soleil, enfin au monde universel qui
se gouverne par sa propre intelligence... ” Pourquoi ce LA à la suite de sa, sorte de rétractation de ce qui précède ? Pourquoi séparer la raison de la matière ? La raison peut-elle être autre chose que matière ? — LA RAISON UNIVERSELLE : dans cette phrase, ne semble-t-il pas que cela se rapproche un peu beaucoup de la Déesse Raison, c’est-à-dire de Dieu et nécessairement du Culte ? N’est-ce pas laisser le champ ouvert à un nouveau clergé, à une nouvelle superstition ? Il ne doit rester de Dieu vestige sur vestige comme il n’est resté de Sion pierre sur pierre. La Vérité est exclusive. A ceux qui veulent marcher dans sa voie, elle ne permet pas les en zigzags, les écarts à droite ou à gauche, de côté ou en arrière. Pour qui veut suivre sa trace, il est essentiel, à chaque pas ou à chaque ligne de rédaction, de se garer de tout équivoque. Du reste, et comme M *** le dit lui-même, à la fin de la section deuxième, l’universelle raison ou idée est bien moins la souveraine de l’universel monde que sa sujette, comme la raison de l’homme est bien plus la sujette de son corps et de ses sens que leur souveraine absolue. Ce que l’on a appelé l’âme ou Dieu, c’est-à-dire la pensée, étant, comme la science humaine le démontre, le produit de l’organisme des mondes, la créature et non le créateur ou la créatrice du corps, quelque chose comme un sixième et supérieur sens, la raison individuelle ou la raison universelle n’est plus alors synonyme d’autorité, mais synonyme d’an-archie. En définitive, qu’est-ce que Dieu ? une hallucination de l’ignorance. Dieu a été formé par l’homme du limon de sa cervelle. Œuvre du chaos et des ténèbres, ce n’est pas autre chose qu’un monstre fossile devant la lumière hominale. Le Dieu-Esprit ou la Déesse-Raison, qu’est-ce que ça de nos jours, sinon les ossements vermoulus, épars et incomplets, débris d’un Léviathan mystique dont on ne peut plus même reconstruire le squelette ? Dieu-bœuf, Dieu-bouc, Dieu-chien, Dieu-serpent, Dieu-barbu ou Dieu-raison, Dieu n’est plus. — La Matière est la Matière. Seule elle se meut et progresse. Seule et infinie elle est. SECTION DEUXIEME. Qu’est-ce que le Monde ? “ Un monde, répond M. ***, est composé d’un certain nombre de corps femelles que nous nommons planètes, et d’un corps mâle qui les gouverne et les féconde, que nous nommons soleil. ” Faire ainsi du soleil un sultan et lui donner pour odalisques les planètes ; décerner la supériorité à l’homme et l’infériorité à la femme, c’est là une chose à laquelle M. *** n’a pas bien réfléchi sans doute, car il n’aurait pas laissé échapper une aussi grosse balourdise. Pas plus que moi, je suppose, il n’admet de distinction entre les hommes de races ou de sexes différents ; tous les hommes sont égaux devant l’humanité, et s’ils diffèrent entre eux, ce n’est que par le plus ou moins de développement donné à leur égale, mais non uniforme nature. Les systèmes planétaires comme notre système terrestre ont leurs diverses gradations, leur quatre règnes, le minéral, le végétal, l’animal et l’hominal ; il y a des globes de tous ces degrés. La Terre n’est pas l’égale du Soleil dans la hiérarchie des êtres, pas plus que le chien n’est l’égal de l’homme. Le Soleil ne peut donc pas plus être le mâle de la Terre que l’homme ne peut être le mâle du chien ; ce serrait contre nature, ce serait de la bestialité. Il y a des soleils mâles et des soleils femelles, et c’est de soleil à soleil, comme d’homme à femme, qu’ils font l’amour. Les minéraux, les végétaux, les animaux qui se meuvent à la surface de la terre gravitent vers l’homme dont la destinée est de les absorber et les élever ainsi des règnes inférieurs au règne supérieur, à l’hominalité ; de même les planètes du degré animal se meuvent en genre et en nombre dans l’espace solaire et gravitent vers leur astre, globe hominal. Mais, selon la loi de gravitation et la logique des analogies, ce n’est pas le Soleil qui a dû précéder l’éclosion et l’épanouissement des planètes, ses inférieures ; ce sont les planètes qui ont dû précéder la naissance du Soleil leur supérieur, astre formé des détritus des planètes antérieures et qui, lui, ne pouvait exister qu’en germe dans le chaos de formation de notre tourbillon, comme l’homme dans le chaos de formation des quatre règnes. L’attraction que le Soleil exerce sur les planètes est l’attraction que l’home exerce sur les êtres placés au-dessous de lui dans l’ordre naturel. Le Soleil s’alimente du suc des planètes, de ce qu’elles ont de plus pur, et les alimente à son tour de ses sécrétions, de ce qu’il a d’impur, sorte de fiente lumineuse qui les nutrifie et les féconde, — comme aussi, avec les planètes des mondes supérieurs, il échange ce qu’il a de plus perfectibilisé avec ce qu’elles ont de moins perfectibilisé, les planètes de ces mondes-là étant, dans la hiérarchie des globes, supérieures au soleil qui nous éclaire, comme le soleil est supérieur à notre planète. Considéré comme masse compact, comme organisme un et harmonique, comme tourbillon ayant une même vie, le soleil et ses planètes forment un corps dont les planètes sont les membres, le ventre et l’estomac, et dont le soleil est le cerveau. Le soleil étant le siège où affluent et se coordonnent les idées des autres globes qui forment son corps, peut réagir sur chacune des parties de son corps ; mais il ne peut pas plus épouser une planète, un de ses organes, que l’homme ne peut épouser sa propre chair. La Terre ne peut donc pas être fécondée par le Soleil en tant que femelle de cet astre. Les plantes comme les hommes, qui naissent sous l’atmosphère terrestre, y naissent comme les idées dans la cervelle de l’homme, par la puissance maternelle et paternelle de l’organisme interne et des sens externes ; mais ils ne sont pas plus des enfants de Soleil que les idées qui se meuvent sous le crâne de l’homme ne sont des enfants d’homme. Il faut distinguer entre les idées, production du travail alimentaire et du mouvement général de l’individu, et le fœtus ou enfant, fruit d’un rapprochement sexuel. Les soleils comme les hommes ne font d’enfants qu’à leur image. M. *** dit plus loin : “ qu’il ne croit pas que les soleils soient habités. ” — Eh ! comment donc existeraient-ils, s’ils n’étaient une agrégation d’êtres animés et par conséquent d’habitants ? Sans doute l’humanité ou le genre cervelain du Soleil n’est pas comparable en forme corporelle et intellectuelle à la grossière humanité de la Terre, elle lui est infiniment supérieure en tous points. Mais enfin, cette humanité, pour être différente de la nôtre, n’en est pas moins le règne culminant des quatre règnes qui, sous son crâne auréolisé, forment le cerveau de l’astre solaire, comme notre règne hominal et ses trois règnes inférieurs forment, sous leur enveloppe atmosphérique, le cerveau de notre planète. En définitive, qu’est-ce que le monde ? Le monde universel est une tête ou mécanisme formé de tous les êtres, atômes ou monde, ses rouages et engrenages. Etre infini et que nous ne pouvons comprendre autrement que sans commencement ni fin, il se renouvelle et s’améliore sans cesse, en se révolutionnant de jour en jour et de forme en forme, par un mouvement continu qui est sa vie et qui est universel et infini comme lui. Comme l’homme, comme les planètes, comme les astres, comme les modes individuels, le monde universel est un corps qui a une pensée, mais cette pensée n’est pas plus immatérielle dans l’être universelle qu’elle ne l’est dans l’être individuel ; elle ne peut rien avoir d’arbitraire pour le corps, puisqu’elle n’est que l’émanation consécutive de tout ce qui se meut et gravite en lui ; qu’elle n’est que la volonté composée de toutes les volontés infinitésimales dont elle est la synthèse, le cratère formé par le flot ascensionnel de l’universalité des atômes et dont le jet n’est produit que par le travail d’entrailles du gouffre, — la digestion de tout ce qui n’est pas assez incandescent s’écoulant par les voies souterraines, et la digestion de tout ce qui est fluidifié montant de la poitrine au cerveau, et du cerveau se répandant sur la face pour en renouveler les traits. L’être universel résume par la pensée le corps universel, comme l’être individuel, l’homme par exemple, résume par la pensée le corps individuel ; et de même que la pensée de l’homme est perfectible par l’exercice de toutes ses facultés corporelles, internes comme externes, de même, par l’exercice de toutes ses facultés corporelles, par l’évolution progressive de tous ses membres, ses organes, l’être universel est aussi perfectible. Le monde, enfin, c’est la matière universelle en perpétuelle ébullition, c’est un volcan qui renaît de ses cendres, se transforme et se régénère sans cesse. C’est le système des quatre gradations fonctionnant à l’infini, c’est-à-dire la multiplicité des triangles cubiques enveloppés dans leur sphère d’attraction et dont les quatre points cardinaux correspondent, l’un à la minéralité, l’autre à la végétalité, le troisième à l’animalité et le quatrième à l’hominalité, et qui dans leur mouvement de rotation et de gravitation, communiquent entre eux, ici d’inférieur à supérieur, par le point hominalité avec le point minéralité, et là de supérieur à inférieur, par le point minéralité avec le point hominalité, et pour les supériorités ou les infériorités intermédiaires, par le point animalité avec le point végétalité et par le point végétalité avec le point animalité ; et s’élèvent ainsi d’engrenage en engrenage et de rouage en rouage ou de sphère en sphère et de tourbillon en tourbillon, au progrès universel et infini. SECTION TROISIEME Qu’est-ce que l’Homme ? En réponse à cette question,
je ne vois rien dans l’article de M. *** de bien absolument attentatoire
au principe an-archique, si ce n’est certain Moteur Universel qui se
glisse là comme un serpent sous les fleurs et qui a toutes les apparences
d’un Dieu métamorphosé en matière et à la
recherche d’une nouvelle exploitation sociale. — Selon moi, c’est parce qu’il participe de tous les êtres terrestres, comme le cerveau participe de tout le corps ; parce qu’il en est l’essence, comme le parfum est l’essence de la fleur ; parce que, — le puîné sur ce globe, création de la Terre sur le dernier feuillet de la production des règnes, — de la Terre à son apogée de conception — il en est nécessairement le chef-d’œuvre, le plus beau par la forme, le plus complet par l’organisme, et conséquemment le plus intelligent. D’où il suit que l’homme par la pensée se perpétue de génération en génération comme il se répercute d’individu à individu ; qu’il est la seule espèce ou plutôt l’unique règne universellement social ; qu’il embrasse de l’envergure de son cerveau, non seulement la Terre d’un pôle à l’autre, non seulement le présent et la distance, mais aussi le passé et l’avenir, le temps dans une partie de l’incommensurable espace. — Le lion foule de ses bonds le sable et l’herbe, il déchire de sa griffe ou de sa dent la gazelle et le taureau ; l’aigle perce de son vol la cime des nuages et pose en olympien sur la crête des monts, les serres et le bec enfoncés dans le ventre d’un reptile ou les entrailles d’un lièvre ou d’un ramier. L’aigle et le lion ont un empire fini, limité. L’homme, lui, le lion des lions et l’aigle des aigles, la perfectibilité incarnée, étend son empire à l’infini, non seulement sur le sable et l’herbe, le règne minéral et le règne végétal, mais encore sur tout le règne animal, et cela au plus profond des airs ou des bois, des plaines ou des eaux. Il laboure le front du lion comme le sein de la terre de son sceptre, de sa main ! cette main qui, selon qu’elle s’ouvre ou qu’elle se ferme, dirige le timon de la charrue ou les éclats de la foudre, sème la vie ou la mort dans le sillon ; comme aussi, et plus haut et plus loin que l’aigle, il déploie dans l’immensité les deux larges et fortes ailes attachées à son front, la mémoire et l’intuition !... Encore une fois, l’homme est supérieur à tout ce qui l’entoure, il est l’être culminant de tous les êtres terrestres, non par un simple effet du hasard, mais parce qu’il est le règne composé des trois règnes qui lui sont antérieurs, le règne ultérieur et suprême dont le Minéral est la base, dont le Végétal est le gradin, dont l’Animal est le piédestal, et dont lui, l’Hominal, est la statue ; parce qu’il est l’entier formé des quatre quarts ; parce que le marbre, avant d’arriver à lui, a passé de l’état brut à la taille, de la taille à la sculpture, et de la sculpture à la statuaire ; ou, autrement dit, parce que le sable s’est fait herbe, que l’herbe s’est fait bétail et que le bétail s’est fait homme ; enfin, parce que de l’alliage de ces trois instincts dans un quatrième moule, qui est l’hominalité, résulte L’INTELLIGENCE ! |
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