La Grève des Ouvriers à Londres.Pendant que lEurope et lAmérique sont encore occupées à établir des raisonnements sur la question dItalie, sur les conséquences de la guerre récente et sur les probabilités dune nouvelle guerre, qui paraît inévitable en Europe, à cause de létat de choses actuelles ; un fait important, et auquel les journaux des deux continents paraissent devoir prêter peu dattention, se passe en ce moment en Angleterre, je veux parler de la grève des ouvriers en bâtiments. La raison de cette grève est que, depuis quelques années, les machines étant introduites de plus en plus grand nombre dans les ateliers pour la fabrication des produits, il en est résulté que ces produits se sont multipliés tandis que le nombre douvriers a diminué. Le résultat de ce changement doutils dans la fabrication a eu pour but daugmenter les bénéfices des maîtres fabricants, tandis quil a produit leffet contraire chez les ouvriers et en a réduit un grand nombre à la plus affreuse misère. Cest dans le but de rétablir lancien équilibre quaujourdhui les ouvriers de Londres sont en grève. Ils ne demandent pas une augmentation de salaire comme on pourrait le supposer, non ; mais simplement une réduction de temps sur la journée de travail. Cette grève nest pas non plus le résultat dune décision prise subitement comme il arrive le plus souvent, ce qui fait quelles ne réussissent quimparfaitement presque toujours ; au contraire, celle-ci est le résultat dû à de longues discussions qui eurent lieu dans différents meetings, depuis déjà longtemps, et à la publication de plusieurs brochures qui ont traité ce sujet. Lappui moral que les ouvriers sans travaux rencontrent de toutes parts dans la population, se manifeste par des meetings en leur faveur, et par des souscriptions nombreuses faites à leur profit. Aussi peut-on croire que cette grève se terminera bientôt en faveur des ouvriers. La mise à exécution de cette loi imposée par les ouvriers aux patrons servira à démontrer aux ouvriers la possibilité de mieux faire encore, et cela quand ils le voudront. Si les ouvriers de Londres avaient mieux compris leur rôle, ils nauraient pas dû sarrêter à daussi mesquines réclamations. Ils auraient dû chercher à établir lassociation entre eux, seule chose qui devra procurer à louvrier ce bien-être auquel il essaie en vain, darriver par des voies détournées. En établissant lassociation, il serait débarrassé de la su[gg]estion dêtre soumis à un maître et davoir à lui obéir, en même temps quil jouirait des bénéfices qui servent à engraisser ces bourgeois qui roulent équipage. Il ne faudrait pas non plus que la grève se limitât aux ouvriers du bâtiment, pas plus quaux ouvriers de Londres, mais que cette grève devînt générale dans toute lAngleterre et pour tous les corps de métiers ; en un mot, que ce fût la grève des exploités contre les exploiteurs. Les ouvriers anglais en ont les moyens en possédant ces deux puissante leviers, la liberté de la presse et celle de réunion. Que ne se lèvent-ils tous, à ce seul cri : abolition de lexploitation de lhomme par lhomme ! et nagitent-ils la question ouvertement. dans de nombreux meetings, tenue en plein vent, dans la rue, sous les fenêtres des aristocrates, tous les jours et pendant toute la journée, sy rendant avec bannières en tête, portant pour inscription : abolition de lexploitation de lhomme par lhomme ; association des travailleurs ; et là, discutant les principes de la solidarité dans lassociation, et faire connaître les débats au moyen de la presse en les faisant circuler jusque dans les villages les plus éloignés, afin de marcher tous ensemble. Alors, cette fière aristocratie des lords dAngleterre tremblerait bientôt pour ses privilèges, et devrait craindre de voir bientôt séchapper de ses mains cette propriété territoriale quelle possède à elle seule. Mais, pour obtenir dun voleur la restitution de sa bourse, il ne faut pas lui dire à lavance et publiquement que ce quil possède est bien à lui, ni paraître le craindre en répondant à ses insultes par des politesses sans nombre ; mais bien aller droit à lui, lui barrer la passage et être déterminé à y laisser son cadavre plutôt que de permettre à ce voleur daller rejoindre sa bande, et lui dire : " Je viens réclamer ce qui mappartient et je ne mien retournerai quaprès lavoir obtenu." Il est probable que la réponse serait de ce genre ou à peu près :" Chien, tout ce qui est dans ma maison mappartient, et tu dois testimer heureux que je te fasse grâce de vivre en te faisant labourer mon champ, etc..., va-t-en et craint ma puissance. " Cest alors que Lazare le déshérité doit montrer ses plaies et ses blessures et faire entendre quil est déterminé à ne sen aller quaprès avoir obtenu de quoi les cicatriser. Hélas! ce nest pas ainsi quont agi les ouvriers de Londres, en se renfermant dans un cercle dégoïsme très-étroit, ils ont dabord commencé par déclarer, dans un meeting tenu à Hyde Park, le 3 Août : quils se déclaraient avoir autant dintérêt à conserver la propriété, telle quelle existe, que ceux qui la possèdent, et qui leur mot dordre était : Paix, Loi et Ordre. Quel illogisme de raisonnement et quelle contradiction de principes ! Un journal de Londres, qui contribue beaucoup à instruire le peuple et qui propage les principes du socialisme, le Reynolds Newspapers, dans son numéro du 14 août, en même temps quil donnait des faits relatifs à la grève, mentionnait le fait suivant, qui se trouve à propos en raison de la déclaration des ouvriers : " Rachel Quint, âgée de 35 ans, demeurant 3 Princess Square long alley, a été trouvée morte sur le carré de sa chambre. Le médecin a déclaré quelle était morte dépuisement et de besoin ; son enfant, trouvé près delle, est mort deux jours après. Sa chambre ne contenait rien entièrement, pas même de lit. " Que lon consulte les précédentes feuilles de ce journal et des faits semblables se trouvent dans chaque numéro. Quel est donc le moteur assez puissant pour faire que des hommes qui possèdent le moyen de séclairer par une prose libre, qui lui montre chaque jour les injustices et les crimes commis sur eux par une infime partie de la société qui lui forge des lois tyranniques, sempressent de sy soumettre aussi docilement quun esclave ? La religion ! toujours la religion qui, pour semparer des individus, sinfiltre et pénètre comme un poison lent mais sûr, jusquà ce quelle ait détruit lintelligence et fait de lhomme un cadavre. Le Libertaire, en invitant ses lecteurs à collaborer, doit nécessairement laisser à chacun de ceux qui y répondent une certaine latitude dappréciation. Il désirerait que cette petite feuille ne fût pas seulement lorgane dun homme, mais de nombre de prolétaires, ces ennemis naturels de la civilisation, à la condition toutefois quon ne vînt pas y parler pour ne rien dire, mais pour y exprimer des idées socialistes, des aperçus ou des raisonnements nouveaux. Il sera le plus indulgent possible pour tout début qui lui semblera mériter encouragement, comme il sera sévère aussi pour ceux qui, ayant débuté au nom du progrès, nemploieraient pas tous leurs efforts à progresser. Pour ce qui est de larticle qui précède, et quil doit à la bonne volonté dun ouvrier, plus habitué jusquici à manier le fer que la plume, il ne partage pas entièrement les convictions qui y sont exprimées sur les conséquences de lemploi des machines. Les machines, il est vrai, occasionnent des déplacements qui sont des perturbations locales, mais elles ne suppriment pas le moins du monde le travail des bras ; elles suscitent lemploi de bras plus nombreux dans la foule dautres travaux. Même avec lorganisation antisociale actuelle, elles ne nuisent pas à la masse des prolétaires : en même temps quelles font baisser sur un point le prix de la main-duvre, elles font aussi baisser universellement le prix des objets confectionnés, et augmentent ainsi forcément le nombre des consommateurs. Le socialisme, dans quelle condition que ce soit, doit sefforcer de propager lemploi des machines. Les machines ont été, sont et seront de plus en plus une force révolutionnaire : tous les progrès sont solidaires. Il serait à désirer quelles réduisissent demain, aujourdhui même, le prix de la main-duvre à zéro : les travailleurs prolétaires ne tarderaient pas à consommer du jour au lendemain de tout ce qui se produit au prix naturel de zéro. Comme le dit notre collaborateur, ce nont pas pour des grèves en vue de mesquines questions de salaire que louvrier doit se passionner, mais pour lassociation de tous les producteurs entre eux, mais pour labolition, par la suppression de tout intermédiaire parasite, de lexploitation de lhomme par lhomme. |