(Dépêche du Libertaire à ses lecteurs ou lectrices)

Grande Manœuvre ! Grande Reculade !

L’Empire c’est la liberté comme l’Empire c’est la paix. Les crédulités les plus niaises doivent aujourd’hui savoir à quoi s’en tenir sur le compte du souverain sauveur, de ce représentant du vol et du crime qui a bien en lui l’étoffe d’un coquin mis qui ne saurait avoir celle d’un homme : Empire oblige !

L’armistice a été signé. La paix est bâclée. L’Italie est-elle libre ?... Elle est sous l’autorité présidentielle du Pape "des Alpes à l’Adriatique" du Pape qui vient de faire massacrer si miséricordieusement ses chères brebis égarées et qui se moutonnaient au bruit des promesses d’indépendance italienne ; du Pape qui crucifie Jésus sous la protection des baïonnettes napoléoniennes et qui vient de récompenser, par le grade de général, son bien-aimé fils, l’infâme bourreau de Pérouse, comme, de son côté, le moniteur impérial l’a récompensé, par une mention honorable, en rappelant que ce digne rival des zouaves et des turcos — (ces cannibales qui se plaisent, en hurlant d’affreux cris de joie, à danser sur les cadavres !) — avait, lui aussi, servi dans la glorieuse armée frrrançaise**, armée sans peur et surtout sans reproches !...

Ainsi, la chose est officielle ; le magnanime libérateur, — après avoir fait de l’Italie un b....l à zouaves et à turcos..., un cirque olympique pour les jeux sanglants de ses Africains ; après lui avoir porté, non la liberté qui ne va pas en pareille compagnie mais le libertinage... après avoir piétiné dans ses blés ses armées de soldats, de mercenaires, comme des nuées de sauterelles et lui avoir laissé pour trace de son passage la disette et la peste, les sept plaies des impériales tueries, il la remet en la sainte garde du grand inquisiteur, et la livre en expiation aux gens de soutane et aux gens d’armes de la Tiare ! ! La Lombardie échoit en proie à la dynastie sarde et la Vénétie demeure entre les serres de la dynastie autrichienne. Victor-Emmanuel et François-Joseph officieront au temporel sous le pontificat de Mastaï...

Bénissons à jamais

L’Empereur dans ses bienfaits !...

Qu’en dites vous, Italiens cavourisés et garibaldisés ! Ah ! le joli billet qu’a Lachâtre ! Allons cueillir des fleurs et tressez-en des couronnes pour le libérateur ! Pavoisez vos rues, illuminez vos monuments, chantez Te Deum, Domine salvum facimperatorem : "l’Empire c’est la liberté !"

Et vous, libéraux de France et d’Europe, manufacturiers, boutiquiers, propriétaires de meubles et d’immeubles qui acclamiez même la guerre par Terreur de la Révolution, vous devez être satisfaits : tout est pour le mieux aujourd’hui dans la meilleure des Italies possibles. L’empereur de France est allé par la Via Sacra à la rencontre de l’empereur d’Autriche, afin d’assurer la paix dans la péninsule, de prévenir une révolution imminente ; il a livré bataille à l’ennemi avec sa bonne armée d’Afrique ; quelque chose comme deux cents mille hommes ont été immolés tant de part que d’autre pour mériter la croix de fureur... l’or et le sang ont coulé à flots. Eh ! comme la paix est bien assurée, dites-moi ? comme il a bien extirpé par les coups de génie de sa haute politique tout prétexte aux soulèvements révolutionnaires, n’est-ce pas ? Comme le traité qu’il a conclu va aplanir les difficultés, apaiser le mécontentement des patriotes et des radicaux ? Comme la tranquillité européenne repose maintenant sur des bases solides ? Comme vous devez être heureux, et voir ce magnifique résultat avec quiétude ?... Allons, ventrus, applaudissez ! Bourgeois, accrochez-vous en guirlandes à votre branche de salut, jetez-vous au cou du triomphateur prodigue, criez vivat pour le Protecteur de vos gros sous ou de vos millions : l’Empire c’est la paix !

Ce qui arrive était écrit : c’est le destin, c’est la fatalité. Le Libertaire l’avait prédit, du moins en thèse générale, et les événements se sont chargés de réaliser ses dire. Sans être sybille** on peut lire dans l’avenir, quand on a pour trépied la logique. Quant à ce qui reste à réaliser, — la guerre générale, l’invasion ou la révolution, — voir à la prochaine année... si ce n’est avant.

J’ai dit en commençant : grande manœuvre ! grande reculade ! C’est en effet toutes ces fanfares de victoire, tous ces bruyants bulletins de la grande armée, c’est en dernier lieu la défaite du Petit-Généralissime par l’Ordre invisible des Jésuites !... c’est la retraite devant la Coalition menaçante et la Révolution menacée, c’est la déroute ! !

Seulement, cette fois ce n’est pas le Kremlin qui est en flamme, c’est le Vatican...

Le poignard des Ravaillacs et le plomb des Pianoris, le Jésuitisme comme la révolution harcèlent les talons de l’Empereur et de l’Empire ; ils lui imposent le sauve-qui-peut de Villafranca.

Le héros de Décembre tombe de mal en pis, il neige de sinistres avertissements sur ses pas...

Ce n’est déjà plus Moscou, c’est la Bérézina ! ! !


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