Mandrin et Bonaparte

Faut-il, dit-on — en parlant du Bonaparte mâle ou femelle — joindre à son nom un adjectif qualificatif ? Oui et non. — Non, si cela est inutile pour l’intelligence du lecteur ; oui, si le Bonaparte mâle ou femelle n’est pas universellement reconnu pour un malfaiteur.

Et Mandrin ? — C’est surtout pour lui qu’il serait bon d’ajouter une épithète à son nom, attendu que si l’opinion universellement répandue est que c’est un scélérat, l’opinion individuelle, la mienne entr’autres, est qu’on ne saurait tarder à le réhabiliter. L’a-t-on assez insulté, assez sali, en accolant son nom à celui de l’homme de Décembre. Mandrin et Bonaparte... mais c’est le feu et l’eau, le jour et la nuit ! Les bandes de Sa Majesté napoléonienne pillent les chaumières et protègent les châteaux. — "Guerre aux châteaux et paix aux chaumières !" disaient Mandrin et ses compagnons. Pour son époque, Mandrin était un socialiste, un révolutionnaire ; c’était un chef de barricade. Pour la nôtre, Bonaparte est un conservateur ; c’est un chef d’Etat, un exploiteur en chef. Mandrin imposait les riches, Bonaparte impose les pauvres. Mandrin est mort en martyr et enseveli dans son propre sang. Bonaparte vit sous la pourpre, et c’est du sang du peuple qu’il s’est fait un manteau impérial. L’un est le grand Mandrin, l’insurgé et l’insurrecteur ; l’autre est Bonaparte le petit, l’autorité, et l’autoritaire.

Un jour, à la mort de celui-ci, l’ouvrier et le paysan traîneront sa charogne à l’ignominieux Montfaucon.

Un jour aussi, le paysan et l’ouvrier inscriront sur le marbre, piédestal d’une statue panthéonique, ces mots qui réveillent et immortalisent les morts :

A MANDRIN LE PROLERTARIAT RECONNAISSANT.

— Il serait à désirer que tous les prolétaires lui ressemblassent ! Que tous eussent son courage et son cœur, toutes les qualités révolutionnaires de ce réfractaire, de ce hors-la-loi, de ce révolté !

Réfractaires à l’exploitation bourgeoise, hors la loi des privilégiés, révoltés de la civilisation, prolétaires enfin, songez-y !

Pour le sentiment comme pour l’action, et en tenant compte de l’idée révolutionnaire et sociale de nos jours, Mandrin est un modèle. Modelez-vous sur lui !


 

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