Variétés L'Humanisphère Utopie Anarchique Anarchie : "Absence de gouvernement." Les révolutions sont des conservations. (P. J. Proudhon) (Jouffroy) Faisons des moeurs et ne faisons plus de lois. (Emile de Girardin) |
Réglez vos paroles et vos actions comme devant être jugées par la loi de la liberté...... Tenez-vous donc fermes dans la liberté à l'égard de laquelle le Christ vous a affranchis et ne vous soumettez plus au joug de la servitude. Car nous n'avons pas à combattre contre le sang
et la chair, mais contre les "principautés", contre les "puissances",
contre les "seigneurs du monde", gouverneurs des ténèbres
de ce siècle.
Ce livre n'est point une oeuvre littéraire, c'est une oeuvre infernale, le cri dun esclave rebelle. Comme le mousse de la Salamandre, ne pouvant, dans ma faiblesse individuelle, terrasser tout ce qui, sur le navire de l'ordre légal, me domine et me maltraite, quand ma journée est faite dans latelier, quand mon quart est fini sur le pont, je descends nuitamment à fond de cale, je prends possession de mon coin solitaire ; et, là, des dents et des ongles, comme un rat dans l'ombre, je gratte et je ronge les parois vermoulues de la vieille société. Le jour, jutilise encore mes heures de chômage, je m'arme d'une plume comme dune vrille, je la trempe dans le fiel en guise de graisse, et, petit à petit, jouvre une voie chaque jour plus grande au flot novateur, je perfore sans relâche la carène de la Civilisation. Moi, infime prolétaire, à qui l'équipage, horde d'exploiteurs, inflige journellement le supplice de la misère aggravée des brutalités de lexil ou de la prison, jentrouvre l'abîme sous les pieds de mes meurtriers, et je passe le baume de la vengeance sur mes cicatrices toujours saignantes. Jai l'oeil sur mes maîtres. Je sais que chaque jour me rapproche du but ; qu'un formidable cri le sinistre sauve qui peut ! va bientôt retentir au plus fort de leur joyeuse ivresse. Rat-de-cale, je prépare leur naufrage ; ce naufrage peut seul mettre fin à mes maux comme aux maux de mes semblables. Vienne la révolution, les souffreteux nont-ils pas, pour biscuit, des idées en réserve, et, pour planche de salut, le socialisme ! Ce livre n'est point écrit avec de l'encre ; ses pages ne sont point des feuilles de papier. Ce livre, c'est de l'acier tourné en in-8° et chargé de fulminate didées. Cest un projectile autoricide que je jette à mille exemplaires sur le pavé des civilisés. Puissent ses éclats voler au loin et trouer mortellement les rangs des préjugés. Puisse la vieille société en craquer jusque dans ses fondements. Privilégiés ! pour qui a semé l'esclavage, l'heure est venue de récolter la rébellion. Il nest pas un travailleur qui, sous les lambris de sa cervelle, ne confectionne clandestinement quelques pensées de destruction. Vous avez, vous, la baïonnette et le Code pénal, le catéchisme et la guillotine ; nous avons, nous, la barricade et lutopie, le sarcasme et la bombe. Vous, vous êtes la compression ; nous, nous sommes la mine : une étincelle peut vous faire sauter ! C'est qu'aujourdhui, sachez-le, sous leur carcan de fer, sous leur superficielle torpeur, les multitudes sont composées de grains de poudre ; les fibres des penseurs en sont les capsules. Aussi, n'est-ce pas sans danger quon écrase la liberté sur le front des sombres foules. Imprudents réacteurs ! Dieu est Dieu, dites-vous. Oui, mais Satan est Satan !... Les élus du veau-dor sont peu nombreux, et l'enfer regorge de damnés. Aristocrates, il ne faut pas jouer avec le feu, le feu de l'enfer, entendez-vous !... Ce livre n'est point un écrit, cest un acte. Il n'a pas été tracé par la main gantée dun fantaisiste ; il est pétri avec du cœur et de la logique, avec du sang et de la fièvre. C'est un cri dinsurrection, un coup de tocsin tinté avec le marteau de l'idée à l'oreille des passions populaires. C'est de plus un chant de victoire, une salve triomphale, la proclamation de la souveraineté individuelle, lavènement de luniverselle liberté ; cest lamnistie pleine et entière des peines autoritaires du passé par décret anarchique de l'humanitaire Avenir. Ce livre, c'est de la haine, c'est de l'amour !.... ![]() Préface La science sociale procède par inductions et par déductions, par analogie. Cest par une série de comparaisons qu'elle arrive à la combinaison de la vérité. Je procéderai donc par analogie. Je tâcherai dêtre laconique. Les gros volumes ne sont pas ceux qui en disent le plus. De préférence aux longues dissertations, aux pédagogies classiques, jemploierai la phrase imagée, elle a l'avantage de pouvoir dire beaucoup en peu de mots. Je suis loin d'avoir la science infuse. J'ai lu un peu, observé davantage, médité beaucoup. Je suis, je crois, malgré mon ignorance dans un des milieux les plus favorables pour résumer les besoins de lhumanité. J'ai toutes les passions bien que je ne puisse les satisfaire, celle de l'amour et celle de la haine, la passion de lextrême luxe et celle de l'extrême simplicité. Je comprends tous les appétits, ceux du coeur et du ventre, ceux de la chair et de lesprit. Jai du goût pour le pain blanc et même aussi pour le pain noir, pour les discussions orageuses et aussi pour les douces causeries. Toutes les soifs physiques et morales je les connais, jai lintuition de toutes les ivresses ; tout ce qui surexcite ou qui calme a pour moi des séductions : le café et la poésie, le champagne et lart, le vin et le tabac, le miel et le lait, les spectacles, le tumulte et les lumières, lombre, la solitude et leau pure. Jaime le travail, les forts labeurs ; j'aime aussi les loisirs, les molles paresses. Je pourrais vivre de peu et me trouver riche, consommer énormément et me trouver pauvre. J'ai regardé par le trou de la serrure dans la vie privée de lopulence, je connais ses serres-chaudes et ses salons somptueux ; et je connais aussi par expérience le froid et la misère. J'ai eu des indigestions et jai eu faim. Jai mille caprices et pas une jouissance. Je suis susceptible de commettre parfois ce que l'argot des civilisés flétrit du nom de vertu, et le plus souvent encore ce qu'il honore du nom de crime. Je suis lhomme le plus vide de préjugés et le plus rempli de passions que je connaisse ; assez orgueilleux pour nêtre point vaniteux, et trop fier pour être hypocritement modeste. Je nai quun visage, mais ce visage est mobile comme la physionomie de londe ; au moindre souffle, il passe dune expression à une autre, du calme à lorage et de la colère à l'attendrissement. Cest pourquoi, passionalité multiple, j'espère traiter avec quelque chance de succès de la société humaine, attendu que, pour en bien traiter, cela dépend autant de la connaissance quon a des passions de soi-même, que de la connaissance qu'on a des passions des autres. Le monde de l'anarchie n'est pas de mon invention, certes, pas plus quil nest de l'invention de Proudhon, ni de Pierre, ni de Jean. Chacun en particulier ninvente rien. Les inventions sont le résultat d'observations collectives ; c'est l'explication d'un phénomène, une égratignure faite au colosse de l'inconnu, mais c'est l'oeuvre de tous les hommes et de toutes les générations d'hommes liés ensemble par une indissoluble solidarité. Or, s'il y a invention, j'ai droit tout au plus à un brevet de perfectionnement. Je serais médiocrement flatté que de mauvais plaisants voulussent mappliquer sur la face le titre de chef d'école. Je comprends quon expose des idées se rapprochant ou s'éloignant plus ou moins des idées connues. Mais ce que je ne comprends pas c'est qu'il y ait des hommes pour les accepter servilement, pour se faire les adeptes quand même du premier venu, pour se modeler sur ses manières de voir, le singer dans ses moindres détails : et endosser, comme un soldat ou un laquais, son uniforme ou sa livrée. Tout au moins ajustez-les à votre taille ; rognez-les ou élargissez-les, mais ne les portez pas tels quels, avec des manches trop courtes ou des pans trop longs. Autrement ce nest pas faire preuve dintelligence, cest peu digne dun homme qui sent et qui pense, et puis c'est ridicule. Lautorité aligne les hommes sous ses drapeaux par la discipline, elle les y enchaîne par le code de lorthodoxie militaire, lobéissance passive ; sa voix impérieuse commande le silence et limmobilité dans les rangs, lautocratique fixité. La Liberté rallie les hommes à sa bannière par la voix du libre examen ; elle ne les pétrifie pas sur la même ligne. Chacun se range où il lui plaît et se meut comme il l'entend. La Liberté nenrégimente pas les hommes sous la plume d'un chef de secte : elle les initie au mouvement des idées et leur inculque le sentiment de lindépendance active. L'autorité, c'est l'unité dans l'uniformité ! La Liberté, cest l'unité dans la diversité. Laxe de lautorité, cest la knout-archie. L'anarchie est laxe de la liberté. Pour moi, il s'agit bien moins de faire des disciples que de faire des hommes, et l'on n'est homme qu'à la condition d'être soi. Incorporons-nous les idées des autres et incarnons nos idées dans les autres ; mêlons nos pensées, rien de mieux ; mais faisons de ce mélange une conception désormais nôtre. Soyons une oeuvre originale et non une copie. L'esclave se modèle sur le maître, il imite. L'homme libre ne produit que son type, il crée. Mon plan est de faire un tableau de la société telle que la société m'apparaît dans l'avenir : la liberté individuelle se mouvant anarchiquement dans la communauté sociale et produisant lharmonie. Je nai nullement la prétention d'imposer mon opinion aux autres. Je ne descends pas du nuageux Sinaï. Je ne marche pas escorté d'éclairs et de tonnerres. Je ne suis pas envoyé par l'autocrate de tous les univers pour révéler sa parole à ses très-humbles sujets et publier loukase impérial de ses commandements Jhabite les gouffres de la société ; j'y ai puisé des pensées révolutionnaires, et je les épanche au dehors en déchirant les ténèbres. Je suis un chercheur de vérités, un coureur de progrès, un rêveur de lumières. Je soupire après le bonheur et jen évoque lidéal. Si cet idéal vous sourit, faites comme moi, aimez-le. Si vous lui trouvez des imperfections, corrigez-les. Sil vous déplaît ainsi, créez-vous en un autre. Je ne suis pas exclusif, et jabandonnerai volontiers le mien pour le vôtre, si le vôtre me semble plus parfait. Seulement, je ne vois que deux grandes figures possibles ; on peut en modifier lexpression, il ny a pas à en changer les traits : cest la liberté absolue ou l'autorité absolue. Moi, jai choisi la liberté. L'autorité, on l'a vue à l'oeuvre, et ses oeuvres la condamnent. C'est une vieille prostituée qui n'a jamais enseigné que la dépravation et na jamais engendré que la mort. La liberté ne sest encore fait connaître que par son timide sourire. Cest une vierge que le baiser de lhumanité n'a pas encore fécondée ; mais, que lhomme se laisse séduire par ses charmes, qu'il lui donne tout son amour, et elle enfantera bientôt des générations dignes du grand nom qu'elle porte. Infirmer l'autorité et critiquer ses actes ne suffit pas. Une négation, pour être absolue, a besoin de se compléter dune affirmation. Cest pourquoi jaffirme la liberté, pourquoi j'en déduis les conséquences. Je m'adresse surtout aux prolétaires, et les prolétaires sont pour la plupart encore plus ignorants que moi ; aussi, avant den arriver à faire lexposé de lordre anarchique, peinture qui sera pour ce livre le dernier coup de plume de l'auteur, il est nécessaire desquisser lhistorique de l'Humanité. Je suivrai donc sa marche à travers les âges dans le passé et dans le présent et je laccompagnerai jusque dans lavenir. Dans cette esquisse jai à reproduire un sujet touché de main de maître par un grand artiste en poésie. Je nai pas son travail sous la main ; et leusse-je, je relis rarement un livre, je nen ai guère le loisir ni le courage Ma mémoire est toute ma bibliothèque, et ma bibliothèque est souvent bien en désordre. Sil méchappait des réminiscences, sil marrivait de puiser dans mes souvenirs, croyant puiser dans mon propre fonds, je déclare du moins que ce serait sans le savoir et sans le vouloir. Jai en horreur les plagiaires. Toutefois, je suis aussi de lavis dAlfred de Musset, je puis penser ce quun autre a pensé avant moi. Je désirerais une chose, cest que ceux qui nont pas lu le livre dEugène Pelletan, Le Monde marche, voulussent bien le lire avant de continuer la lecture du mien. Lœuvre du brillant écrivain est tout un musée du règne de lhumanité jusquà nos jours, magnifiques pages quil est toujours bon de connaître, et qui seront dun grand secours à plus dun civilisé, accoudé devant mon ouvrage, non seulement pour suppléer à ce quil y manque, mais encore pour aider à en comprendre les ombres et les clairs. Et maintenant, lecteur, si tu veux faire route avec moi, fais provision dintelligence, et en marche ! ![]() Question géologique "Si on leur dit (aux civilisés) que notre tourbillon denviron deux cents comètes et planètes est limage dune abeille occupant une alvéole dans la ruche ; que les autres étoiles fixes, entourées chacune dun tourbillon, figurent dautres planètes, et que l'ensemble de ce vaste univers n'est compté à son tour que pour une abeille dans une ruche formée denviron cent mille univers sidéraux, dont lensemble est un BINIVERS, quensuite viennent les TRINIVERS formés de plusieurs milliers de binivers et ainsi de suite ; enfin, que chacun de ces univers, binivers, trinivers est une créature ayant comme nous son âme, ses phases de jeunesse et de vieillesse, mort et naissance ...... : ils ne laisseront pas achever ce sujet, ils crieront à la démence, aux rêveries gigantesques ; et pourtant ils posent en principe l'analogie universelle ! " On connaît la physionomie de la Terre, sa conformation externe. Le crayon, le pinceau, la plume en ont retracé les traits. Les toiles des artistes et les livres des poètes lont prise à son berceau et nous lont fait voir enveloppée dabord des langes de l'inondation, toute molle encore et avec la teigne des premiers jours ; puis se raffermissant et se couvrant dune chevelure végétative, animant ses sites, sembellissant au fur et à mesure quelle avançait dans la vie. On connaît aussi sa conformation interne, sa physiologie ; on a fait l'anatomie de ses entrailles. Les fouilles ont mis à nu sa charpente osseuse à laquelle on a donné le nom de minéral ; ses artères, où leau circule, ses intestins enduits dune muquosité de feu. Mais son organisme psychologique, qui sen est occupé ? Personne. Où est chez elle le siège de la pensée ? Où est placé son cerveau ? On l'ignore. Et cependant les globes, pour être dune nature différente de la nôtre, nen sont pas moins des êtres mouvants et pensants. Ce que nous avons pris jusqu'ici pour la surface de la terre, en est-il bien réellement la surface ? Et en la dépouillant, en la scalpant des atmosphères qui lenveloppent, ne mettons-nous pas à vif sa chair et ses fibres, ne lui entamons-nous pas le cervelet jusquà la moelle, ne lui arrachons-nous pas les os avec la peau ? Qui sait si, pour le globe terrestre qui, lui aussi, est un être animé et dont l'étude zoologique est si loin d'être achevée, qui sait si l'humanité n'est pas la matière de sa cervelle ? Si l'atome humain nest pas lanimacule de la pensée, la molécule de l'intelligence planétaire fonctionnant sous le vaste crâne de ses cercles atmosphériques ? Connaît-on quelque chose à la nature de ses sens intimes ? Et quy aurait-il détrange à ce que toutes nos actions sociales, fourmillement de sociétés homonculaires, fussent les idées ou les rêves qui peuplent dun pôle à l'autre le front du globe ? Je ne prétends pas résoudre de prime abord la question, laffirmer ou linfirmer absolument. Je nai certainement pas assez médité sur ce sujet. Seulement, je pose la chose sous forme interrogative, afin de provoquer des recherches, une réponse. Cette réponse peut-être bien la ferais-je moi-même. Il ne me paraît pas sans intérêt de soccuper de lorganisme intellectuel de lêtre au sein duquel nous avons pris naissance, pas plus qu'il ne me paraît sans intérêt de soccuper de son organisme corporel. Pour qui veut étudier la zoologie des êtres, animaux ou planètes, la psychologie est inséparable de la physiologie. Ce prologue terminé, laissons la terre rouler sur son axe et graviter vers son soleil, et occupons-nous du mouvement de l'humanité et de sa gravitation vers le progrès. |