Conflit à la Nouvelle-Orléans

 

L’espace et le temps nous manquent pour parler comme nous le voudrions du mouvement qui vient d’éclater à la Nouvelle-Orléans. Nous dirons seulement ceci : c’est que comité de vigilance et autorité légale ne valent certainement pas mieux l’un que l’autre. Nous n’avons reçu aucun renseignement particulier sur ce qui s’est passé, mais nous croyons pouvoir affirmer que dans les deux camps la question se réduit à une seule chose : Conquérir ou conserver les places.

Les attentats à la vie et à la pudeur, toutes les infamies protégées par la police légale ne sont qu’un prétexte pour les meneurs du conflit. Que la victoire leur reste et que les élections s’accomplissent sous l’empire de l’ordre des vigilants, et le lendemain les mêmes crimes se renouvelleront, protégés par ceux-ci au lieu de l’être par ceux-là. Le mal n’est pas dans les hommes, il est dans les choses. Les institutions autoritaires, – aristocratiques ou démocratiques, – sont un fléau qui porte leur fruit. Nous ignorons les noms des personnages qui figurent au Comité de Vigilance, mais nous pourrions, sans crainte de nous tromper, certifier qu’il est parmi eux plus d’un assassin notable qui, par sa position de fortune ou de parenté, a échappé impudemment à toute répression, et, qui pis est, jouit de la considération publique. Comité de Vigilance et autorité légale, vainqueurs ou vaincus, sont du même bois – le bois dont on fait les sceptres ; les deux font la paire.

Ce qu’il faut, si l’on veut réellement voir diminuer les crimes, c’est d’abolir l’autorité, et par conséquent tout comité dictatorial ; c’est de substituer à la délégation l’action directe, au suffrage universel le vote universel ; c’est d’instituer entre tous les citoyens une société d’assurance mutuelle contre la violence. Alors, l’intérêt de chacun deviendrait la sauvegarde de tous. Mais la Nouvelle-Orléans est une cité trop pourrie pour remplacer du jour au lendemain les mœurs des lois par la loi des mœurs. Le mouvement sera escamoté. Les hauts bandits de la démocratie et du Know-Nothingisme sacrifieront à leurs envieuses rivalités quelques généreuses natures qui auront aveuglément pris fait et cause dans leur querelle. Le sang de quelques hommes animés de l’amour de l’humanité coulera par les rues, sur les barricades. Puis l’ordre légal, l’ordre de l’assassinat éternel, sortira de nouveau du sein de l’urne électorale comme la peste du sein des cadavres.

Cependant, une chose grave pourrait résulter de ce mouvement : c’est que sur les plantations les noirs en profitassent pour faire justice de leurs maître. Mais les malheureux esclaves sont encore trop énervés par l’ignorance pour oser tenter la revendication de la liberté. Ils n’ont d’idées que pour parodier les ridicules de leurs maîtres. Qu’ils les copient donc aussi dans leurs sanglantes fureurs !

En 1856, résidant à la Nouvelle-Orléans, l’auteur de cet article fit tous ses efforts pour avoir les fonds voulus pour publier un pamphlet ayant trait aux crimes électoraux et autres qui infestent non seulement la Louisiane, mais tous les Etats de l’Union. Il avait convoqué à cet effet le public à la lecture de son manuscrit. Trente ou quarante personnes s’y présentèrent, c’est-à-dire peu de monde, et encore moins de souscripteurs. L’impression ne put avoir lieu. Qui sait d’ailleurs s’il eût trouvé un imprimeur qui voulût s’en charger. Ses presses eussent été en danger d’être brisées.

Si l’espace nous le permet, nous publierons ce pamphlet dans notre prochain numéro.


 

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