Le Mouvement Italien.
Tout mouvement qui nest que national, fût-il entrepris au nom de lindépendance, nest ni révolutionnaire, en principe, ni social. Et le mouvement italien na affiché jusquici que des prétentions au patriotisme, cest-à-dire à lindividualisme étroitement, bêtement égoïste. Des siècles dabrutissement pèsent, comme un éteignoir de plomb, sur ce peuple, qui a bien su montrer une certaine audace animale, personnifiée par Garibaldi, laudace du coq qui, du bec et de léperon, plume et se fait plumer dans de sanglants combats, mais rien, hélas ! de laudace hominale qui lutte, par lintelligence plus encore que par le glaive, pour la cause humanitaire, et qui, victorieuse ou vaincue, lui ouvre, plus vaste et plus infinie toujours, lhorizon incommensurable du progrès. Ce nest pas en jésuitant avec les jésuites, en écartant du débat les grandes questions vitales, les questions de révolution sociale, et en se bornant à une douteuse revendication démancipation politique, que les meneurs et les menés du mouvement italien aboutiront à une solution digne de tous les efforts et de tout le sang prodigués. Ce nest pas en confiant à des moines la direction de bandes insurrectionnelles, en abritant les capucins sous légide dictatoriale, et en allant sincliner hypocritement, lâchement devant la fiole de Saint Janvier, au lieu de briser cette fiole sur le crâne du prêtre assez ignoble et assez infâme pour exploiter ainsi la stupidité publique ; ce nest pas en répudiant et en proscrivant tout ce qui a une teint, je ne dirai pas socialiste, mais même républicaine ; en proférant des paroles didolâtrie pour une tête royale (emblême du libéralisme bourgeois) et de respect imbécile pour une tiare spirituelle, talisman de luniverselle oppression des intelligences ; ce nest pas en mutilant une révolution à son début dans la vie militante, en en faisant une sorte de castrat, quon la rendra puissante et féconde, capable enfin de régénérer lItalie, et de la faire légale des nations qui portent haut le front et le cur dans les péripéties du grand drame humanitaire. Lunité à tout prix ! ont dit les oracles de lItalie, ses patriotes surannés. Et, à tout prix, et malgré les lâches concessions, lunité ne se fait même pas, ou, si elle se fait quelque peu, cest sur le terrain de la servitude et non de la liberté. Rome, son cur, Venise, son sein droit, gémissent sous le poids des baïonnettes étrangères ; la soldatesque française et la soldatesque autrichienne meurtrissent et souillent de leurs attouchements ses deux mamelles. Larmée insurrectionnelle, virile par le sentiment, juvénile par lintelligence, nexiste plus que de nom. Garibaldi, ce Mazaniello moderne, sil faut en croire les télégram[m]es, la livre avec les deux Siciles à la couronne dEmmanuel. LAntonelli de Turin, le jésuite Cavour, ce sujet de Rome papale et ce compère du jésuite et empereur Bonaparte, va régner au nom du Roi-Soldat et gouverner au nom du Roi-Pontife sur la péninsule. Il est vrai que, pour arriver à ce bienheureux résultat, qui pourrait bien nêtre quun désastre, on a dû (de connivence secrète avec le Saint-Siège) faire entrer les troupes sardes dans les Romagnes et lOmbrie, avoir lair de combattre, au nom de la liberté, le ramassis de catholiques commandés par lAfricain Lamoricière, quand, en réalité, on nallait, sous ce prétexte, que barrer, au nom de lautorité, le passage aux volontaires, et couvrir Rome menacée par les nouveaux barbares. Mais, en supposant même que larmée insurrectionnelle se débande après le suicide moral de son chef et se soumette un moment au sceptre du roi constitutionnel, croit-on pour cela avoir vaincu le mouvement et tranché la question dune manière définitive ? Agir au nom du mal, au nom de la révolution contre la révolution, est un de ces remèdes dempiriques qui tuent plus de malades, plus de réactions, quils nen sauvent ; loin dextirper le virus révolutionnaire, on le généralise ainsi, on le rend incurable. Avec des chefs de la trempe de Garibaldi, le mouvement italien neût rien osé de sérieux ; il était nécessaire quun Cavour quelconque se mît de la partie pour le comprimer, et, par conséquent, lui donner la force de densité qui lui manquait. Avant peu, et en dépit du baiser Lamourette actuel, les Italiens, suffisamment trahis et instruits, reprendront les hostilités, et, cette fois, contre le roi galant-homme lui-même et contre le gouvernement spirituel comme temporel des fils de Loyola et des fils de Malthus, des libéraux et des jésuites. Rome est sauve peut-être pour linstant ; lon a remis à six mois léchéance de sa reddition. Mais, avant les six mois expirés, de politique et nationale quelle était, la révolution sera devenue démocratique et sociale. Mieux vaudrait pour vous, messieurs de lInquisition et de la Constitution, messieurs de la Réaction, une franche défaite quune aussi maladroite victoire. Cest ce qui peut sappeler jouer à qui perd gagne. |
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