LES BARBARES DANS PARIS.

On lit dans une correspondance du Prolétaire :

On se répète bien bas dans les ateliers qu'il est déterminé, en cas d'échec, à se retirer dans ses bastilles avec ses soudards, et de là nous menacer d'un bombardement général. Cette rumeur n'a pas été, comme bien vous devez penser, sans causer tout d'abord [quelque] douloureuses émotions. Mais la réflexion les a bien vite dissipées. — Tant mieux ! s'est-on écrié, c'est le moyen d'en finir plus sûrement avec le despotisme et la soldatesque, car " de l'excès de nos maux sortira le remède. " A ses grenades, à ses bombes, nous opposerons la torche enflammée ! Qu'en diront les boutiquiers et les propriétaires ? Oh ! cela nous importe peu.

Ils ont applaudi le vieux Louis-Philippe embastillant Paris ; ils ont acclamé toutes les aimables choses commises par Bonaparte, à eux d'en payer les pots cassés !

Quant à nous, on nous envoie des boulets rouges et des fusées à la congrève, nous y répondons par l'incendie. Quoi de plus naturel ? La torche à la main, nous parcourerons tous les quartiers de la capitale, et nous verrons bien alors si l'on osera continuer le bombardement d'une ville en flamme. Oui, nous l'avons juré, la France sera libre ou Paris cessera d'être ! Il faut que la liberté sorte triomphante de la sanglante mêlée, ou que les derniers vestiges de la cite sacrilège disparaissent à jamais sous les débris fumants de la vengeance populaire !

C'est cruel, c'est horrible, dira-t-on. Qui le nie ?

Mais est-ce à nous que doit en incomber la responsabilité ? Est-ce nous qui avons fait construire les bastilles, ces monstrueux instruments de destruction ? Est-ce nous qui avons créé la tyrannie ? Et lorsque cette tyrannie, vaincue dans la rue par les populations qu'elle a le prétention de gouverner, menace de réduire en cendres la ville insurgée, ce serait un crime pour cette population de brûler cette ville, afin d'anéantir le despotisme, et de sauver ainsi la liberté du reste de la nation ! ! ! Et puis " c'est du sein des orages que sort la liberté. "

Lorsqu'en 1812, pour arrêter ces bandes altérées de sang qui, à la suite d'un scélérat couronné, semaient dans toutes les contrées de l'Europe le deuil et l'épouvante, les Russes incendièrent leur capitale, qui donc eut jamais la pensée de taxer de cruauté cet acte de haut patriotisme ? Eh bien ! ce que les Moscovites firent au nom de leur patrie en danger, nous hésiterions à le faire, nous, au nom de la liberté menacée ?


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