NEGROPHOBIE.Samedi dernier, une de ces ignobles scènes de bouffonnerie et de violence qui sont beaucoup trop communes dans ce pays, a commencé à Illinoistown pour venir se terminer à St. Louis. Le héros ou plutôt la victime était un homme nommé Sherman, dont le crime est d’avoir pris pour femme et de traiter honnêtement comme telle une personne de couleur. Il y a environ vingt ans que Sherman a contracté cette union dans l’Indiana. Chassé de sa résidence par la canaille hypocrite de l’endroit, Sherman se réfugia dans l’Illinois et finit par se fixer à Collinsville. Là, une troupe de misérables l’assiégèrent une nuit dans sa maison, s’emparèrent de lui, le fustigèrent et lui commandèrent de quitter la pays. Il y a deux ou trois semaines, Sherman est venu se fixer à Illinoistown. Samedi soir, une centaine de bandits et de polissons l’arrachèrent de sa demeure, le mirent à cheval sur une perche, portée par quelques uns d’entre eux, et s’acheminèrent, fifre et tambour entête, vers l’East-St.-Louis ; là on fit de copieuses libations en attendant le passage du bac, on fit remonter Sherman sur sa perche, on le transporta dans le bateau et on l’amena à St. Louis, où la bande se donna le plaisir de parader quelque temps sur la levée, avec sa victime. Enfin ces honnêtes défenseurs de la moralité publique consentirent à lâcher Sherman, en lui défendant de reparaître à Illinoistown, sous peine d’être jeté, les mains liées derrière le dos, dans un canot troué, et abandonné aux vagues du Mississipi. Voilà les infamies que la plupart des journaux de St. Louis racontent comme une chose toute simple et toute naturelle, ou plutôt comme un juste châtiment infligé à ce qu’ils appellent le péché d’amalgamation. Il est difficile de pousser plus loin le mépris des principes de justice et de liberté, dont on fait un si grand étalage en théorie. Sherman a un fils et une fille de ce mariage qui lui attire tant de persécutions. Dimanche, son fils est venu à sa recherche. Nous espérons que cette malheureuse famille trouvera enfin ici quelque repos.
(Revue de l’Ouest.). |
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