Je demande la Parole !

Le Libertaire faisant précéder ses objections au sujet de Qu’est-ce que Dieu ? Qu’est-ce que le Monde ? Qu’est-ce que l’homme ? d’un soupçon qui pourrait faire naître dans l’esprit du lecteurs une idée tout autre que celle qui fait le fond de son article, l’auteur croit de son devoir de ne point laisser passer ses objections sans y répondre.

D’abord, qu’il soit bien entendu que je n’ai voulu, dans mon article, établir ni Dieu, ni culte, attendu que toutes mes heures se sont passées et se passent encore à faire le contraire. Ceci posé, je répète ma profession de foi : — Je ne crois ni au dieu de Moïse ni au dieu de Malebranche, etc. Je crois à l’Homme et à la Terre qui l’a enfanté et au Soleil qui féconde la Terre : je crois enfin au Monde universel qui se gouverne par lui-même, c’est-à-dire par sa propre intelligence, ou la raison universelle qui vit en toutes choses selon les besoins de la matière ou, si l’on veut, des corps. — Je ne vois pas qu’il y ait dans cette phrase, qui n’est qu’une répétition de ce que j’ai dit dans mon article, aucune intention de créer un Dieu quelconque. Comme on dit l’âme ou l’esprit, j’ai dit l’intelligence ou la raison du Monde Universel, intelligence ou raison qui ne fait qu’un Tout avec la matière. Il est donc aisé de comprendre qu’intelligence et raison ne sont là que des noms employés à nommer la même chose, et qu’on ne peut en conclure, pour m’en être servi, que j’aie voulu, en séparant cette chose de la matière, pour être mieux compris, en faire un souverain de l’Univers.

Parce que je donne un sexe aux Planètes et un autre sexe aux Soleils, et que je fais ceux-ci fécondateurs des premières, le Libertaire crie au Despote ! au Sultan ! comme si j’avais mis aux Soleils chacun une trique à la main, comme en ont les eunuques du Sérail, et cela, tout en versant des larmes sur le sort des Planètes, qu’en pareil cas, il appelle des odalisques. — Me voilà rêvant l’exploitation de la femme par l’homme ! — Est-ce qu’un amant est un despote quand il caresse sa maîtresse (ce n’est pas moi qui ai inventé le mot), quand il l’abrite, la vête et la nourrit par les moyens que lui procure la fortune ou son travail intellectuel ou manuel, quand il puise ses inspirations dans ses conseils, quand il veille sur elle comme sur lui-même, [parce] que lui et elle ne font plus qu’Un, sous l’influence de l’amour ? — non, car l’homme ou l’amant n’a accordé toutes ces choses à la femme ou à l’amante qu’en échange d’autres biens, et que celle-ci ne les a acceptées que parce qu’elle sentait qu’elle en possédait en elle l’équivalent. Ce contrat qui lie ainsi l’homme à la femme et la femme à l’homme, n’appartient ni à l’un ni à l’autre : il est écrit dans la nature, et le despotisme ne l’a en aucun coin maculé de sa griffe. C’est par un contrat pareil que je crois les Planètes unies au Soleil et le Soleil aux Planètes : l’un a aussi besoin des unes que les unes ont besoin de l’autre, et par conséquent il ne peut y avoir ni Sultan ni odalisques dans une famille planétaire.

Le Libertaire dit qu’il ne suppose pas que j’admette aucune distinction entre les hommes de races ou de sexes : non, certainement, lorsqu’il s’agit de liberté, du droit à l’exercice de l’intelligence et du droit au partage des richesses terrestres, qui sont une propriété commune à tous les hommes, à tous les sexes, à quelque race qu’ils appartiennent. Mais j’affirme la différence d’organisation physique qui fait l’intelligence supérieure ou inférieure, selon la supériorité ou l’infériorité de cette organisation. Et si la Terre n’est pas l’égale du Soleil dans la hiérarchie des êtres, comme on nous le dit ; si le chien n’est pas l’égal de l’homme, il s’en suivra que le sauvage de la Papouasie n’est pas l’égal du Cafre et le Cafre l’égal du Caucasien ; qu’il y aura par ce fait de la différence d’organisation physique dans le règne hominal aussi bien que dans les autres règnes, une race supérieure par l’intelligence, et que cette race aura sinon des droits, mais des devoirs à remplir à l’égard de l’autre, et que, pour ne pas mentir à la loi du progrès, elle devra non-seulement la protéger contre tout élément destructeur, mais aussi faire tout ce qui dépendra d’elle pour se l’assimiler. Voilà comment dans ma pensée il y a supériorité d’être à être : toute supériorité qui n’est pas celle-là, je la nie.

Je ne discuterai pas sur cette question, si les Soleils sont comme astres d’une espèce différentes que celle à laquelle appartiennent les planètes ; que s’ils font l’amour, ils ne le font que de soleil à soleil, ayant la propriété des deux sexes : je crois seulement qu’il doit faire bien froid au point de jonction de leurs rayons et que le froid n’est guère favorable à l’amour ; que les Planètes comme membres organiques des Soleils, est peut-être une idée un peu hasardée, trouvant les articulations de ces membres dans leur proportion comme espace peu en harmonie avec le tronc et les membres eux-mêmes. Mais je reconnais au Libertaire aussi bien qu’à moi-même le droit d’émettre son opinion, que je respecte, d’autant plus qu’il s’agit d’une question que l’A-plus-B n’a point encore tranché.

Quant à l’électricité que j’appelle moteur universel, et qu’on veut que j’aie l’intention d’en faire un Dieu, je n’en ai parlé que comme de l’intelligence-universelle, c’est-à-dire comme une des propriétés de la Matière, et dont j’ai voulu tout simplement indiquer la fonction. — Je crois aussi avoir répondu à la question au sujet de la supériorité de l’Homme sur tous les autres êtres, lorsque j’ai dit : « Parce qu’il peut, par les moyens que lui procure son intelligence, les soumettre à sa volonté. » — La forme dialoguée que j’ai employée ne me permettait pas d’entrer dans les détails qu’on nous donne, détails qui ne sont après tout que le résumé de ce que peut l’intelligence humaine. Si l’homme peut cela, s’il a fait cela ; il ne l’a pu, et il ne l’a fait que par les moyens que son intelligente que je déclare supérieure à celle des autres êtres lui a fournis.

La comparaison que le Libertaire fait de moi avec M. de Lapalisse me plaît d’autant plus que les naïvetés de cet homme-proverbe avaient cela de bon qu’elles étaient des filles émancipées de la Vérité, qui aimaient mieux, au risque d’être persiflées par les courtisans, se montrer toutes nues que de demeurer ignorées avec leur mère au fond d’un puits. — Je le sais, et je l’ai dit, que rien n’est mort dans la nature, que tout y est vivant et organisé ; mais si je m’étai exprimé autrement que je l’ai fait, peut-être n’aurais-je pas été compris ; car il me fallait faire la distinction d’un être animé d’avec un être inanimé, la différence, par exemple, d’un homme d’avec un caillou qu’on peut casser, broyer, sans qu’il donne aucun signe de vie : dites à l’homme d’une instruction bornée que ce caillou est vivant et organisé, et il ne vous comprendra pas. Par les êtres vivants et organisés, j’ai voulu désigner les hommes et les animaux, en un mot les corps qui peuvent témoigner de leur état d’êtres animés par le mouvement ou la voix. Je suis fâché qu’on ne m’ait pas compris.

J’aime la discussion, parce qu’elle m’éclaire. mais ce que je reproche au Rédacteur-Editeur du Libertaire c’est de nous jeter trop souvent son socialisme à travers le corps ; c’est son exclusivisme lorsqu’il s’agit d’idées qui ne sont pas les siennes propres ; c’est enfin, de poser un peu trop à la Dupin en arrière de la tribune dont il est propriétaire, et encore le vieux Dupin pouvait-il trouver une excuse à son despotisme dans l’influence que pouvait avoir sa vieille perruque sur sa vilaine tête, excuse que le citoyen Rédacteur-Editeur, qui est dans toute sa virilité, ne peut invoquer. L’exclusivisme va mal à la vigoureuse jeunesse du Socialisme, qui d’ailleurs ne peut être et ne doit pas être représenté par l’idée d’un seul homme, pas plus que ce seul homme, s’il était épris d’un amour passionné pour la chibouque ou le calumet, n’aurait le droit d’obliger ses collaborateurs à ne l’aborder que le calumet ou la chibouque aux lèvres. Je voudrais donc que le Libertaire ne comptât pas sur lui seul pour faire la Révolution, mais qu’au contraire, il octroyât la parole à tout homme qui se présente à sa tribune avec une idée amie, car je ne crois pas que pour être socialiste, il faille absolument le calquer.

[article à imprimer]

[article précédent]  [article suivant]  [sommaire du n°21]  [accueil]