La Législation directe et universelle. IV.

(Suite et fin.)

Maintenant, afin d’être plus clair et de mieux faire comprendre toute ma pensée, je vais donner quelques développement aux articles qui le comportent.

Art. 1er. (Voir le précédent numéro.)

Et, en effet, qui la veut réellement la veut ainsi.

Voyons, r[ésonn]ons un peu :

Fixeriez-vous à 21 ans l’âge de la majorité ! Mais est-ce que tel homme de 20 ans ne peut pas avoir les facultés aussi développées que tel autre de 21 ans ? Est-ce qu’il n’est pas son égal, humainement parlant ? Le fixerez-vous à 20 ans ? Est-ce qu’il n’en est pas de même pour celui de 19, et ainsi pour les autres ? Pour être conséquent, il vous faudrait aussi fixer l’âge où le vieillard, perdant de ses facultés et retombant en enfance, ne devra plus voter ; établir des catégories de capacité ; chasser des comices législatifs ceux qui ne savent pas lire, ne savent pas ou savent peu discuter. Est-ce que par hasard les enfants à la mamelle réclameront un bulletin de vote ? Et, — dans cette société, vieille de civilisation, où l’on rencontre encore, debout et galvanisée par la pile électrique du capital, l’institution fossile de la famille, — eh bien, si, pour les enfants d’un autre âge, le père exerce une influence désastreuse, est-ce que, sur d’autres enfants un autre père ne pourra exercer une influence contraire ? Est-ce qu’il n’y aura pas là une sorte de compensation ?

Nierez-vous le droit de la femme ? Mais la femme est un être humain comme l’homme. Ah ! si les bourgeois de 89 ont fait la Révolution à leur profit et à l’exclusion des prolétaires, — prolétaires, voudriez-vous accomplir la même faute, commettre le même crime en faisant la révolution au profit des hommes et à l’exclusion des femmes ? Non, sans doute ; car alors vous seriez, en aveuglement et en infamie, l’égal de vos maîtres.

Et le voleur et l’assassin même, et le fou, leur ravirez-vous le droit de vote ? Mais au nom de quel principe ? Est-ce au nom de la liberté, au nom de l’égalité, au nom de la fraternité, dites ? — Eliminer des listes législatives le galérien, l’homme le plus autorisé à se plaindre de la société, n’est-ce pas appeler bientôt le tour du prolétaire, cet autre forçat du travail ? Eliminer le fou, n’est-ce pas appeler bientôt aussi le tour du libre penseur, sous prétexte d’opinions subversives ? Eh ! qu’est-ce donc, après tout, que quelques bulletins de plus dans l’urne ? Que font quelques gouttes d’eau, un fleuve même au niveau de l’Océan ?... Fixer un âge, une condition quelconque à l’exercice de la souveraineté, c’est restaurer l’arbitraire sur ses affûts, c’est ouvrir la brèche à toutes les restrictions ; ce sont les " six mois de domicile " de la Constituante qui ont amené fatalement la loi du 31 mai.

Pas de milieu : Le principe de la souveraineté du peuple est bon ou il est mauvais ; s’il est mauvais, pourquoi en prendre le masque, alors que nous n’aurions qu’à le fouler aux pieds, à sortir le droit divin de son puits et à nous mirer dans sa légitimité ? Si, au contraire, il est bon, il faut l’affirmer dans son entier, ne pas l’estropier, le prendre avec tous ses membres, accepter ses conséquences logiques sous peine de nier le tout en en niant une partie. L’amputer, c’est le tuer.

Et maintenant, parlera-t-on de l’impossibilité ? L’impossibilité... en 1847 ne le disait-on pas aussi du suffrage universel ? 1848 est venu, et le suffrage universel a fonctionné ; il en sera de même de la législation directe.

Art. 2 (Voir le précédent numéro.)

Je veux la commune libre parce que je suis pour la liberté contre l’autorité ; parce que je veux laisser au progrès le champ libre ; parce que si une commune est en avant des autres pour n’importe quelle question d’organisation, il n’est pas juste, il est anti-social qu’elle soit entravée dans l’application de ses idées. Je la veux souveraine enfin, parce que je veux l’unité et non l’agglomération... l’agglomération, résultat de la contrainte ; l’unité, résultat de la liberté. C’est la loi d’attraction qui fait graviter les astres dans leur cercle ; c’est la loi d’attraction qui rattachera les communes à l’unité nationale, et, plus tard, les nationalités à l’unité universelle.

J’avais primitivement modifié les circonscriptions communales. " Je veux, — disais-je, — la commune de 50,000 têtes, parce que chacun y trouve la satisfaction de ses besoins. Je la veux ainsi pour qu’elle puisse avoir ses écoles et ses invalides, ses théâtres et ses amphithéâtres ; ses bibliothèques, arsenaux de la pensée, et ses machines, armes industrielles et aratoires ; son palais de cristal, corbeille de toutes les productions, et ses jardins publics, écrin de toutes les fleurs ; ses parcs, ses promenades plafonnées de verdure, et ses salons de loisir, ses salons populaires ombragés de soie et de velours ; ses fontaines, ses monuments, ses bains, ses musées, que sais-je encore ?... l’utile et l’agréable enfin : l’instrument de travail et l’instrument de plaisir.

Mais cette modification, cette augmentation arbitraire des circonscriptions d’aujourd’hui est une complication inutile. Les communes voisines se grouperont naturellement pour opérer à plusieurs ce qu’une seule ne pourrait faire individuellement. Il faut laisser à l’attraction des intérêts l’initiative de leurs groupements, le soin de se solidariser.

Art. 5 (Voir le précédent numéro.)

Le vote s’exerce sur toute proposition, absolument comme pour l’élection en matière de suffrage universel, soit d’un président, si la proposition est d’intérêt général, soit d’un représentant, si elle est d’intérêt local. Et, — comme dans les assemblées parlementaires, — le peuple, qui est son propre représentant, amende, rejette ou adopte tout ce qui est soumis à ses délibérations.

DES FONCTIONS PUBLIQUES.

Art. 6 (Voir le précédent numéro.)

Le peuple étant souverain doit nécessairement nommer lui-même aux fonctions. C’est à celui qui fait la loi à la faire exécuter.

Les fonctions, du reste, sont considérablement simplifiées. Les travaux administratifs de toutes sortes devront être adjugés à des associations, — celle-ci pour le maniement de la plume, le personnel des bureaux ; celle-là pour le maniement de la pioche, l’entretien des routes ; telles autres pour le service des chemins de fer, des postes, des bazars, des maisons de retraite et de santé, etc., etc. ; — et chacune de ces associations, dis-je, nommera à l’élection, ou comme il lui plaira le mieux, ceux d’entre les associés jugés le plus aptes à occuper tel ou tel poste. De cette manière, la lèpre du fonctionnarisme est détruite, de ce fonctionnarisme impertinent, paresseux et routinier. Il n’a plus que des travailleurs tous intéressés à l’accomplissement de leur tâche et tous spécialement employés selon leur facultés.

DU MINISTERE COMMUNAL.

Art. 7 (Voir le précédent numéro.)

DU MINISTERE NATIONAL.

Art. 8 (Voir le précédent numéro.)

Le rôle de chacun des deux département du ministère est bien simple. Il est l’intermédiaire entre le scrutin qui ordonne et les administrations soumissionnaires qui exécutent. C’est en quelque sorte le contre-maître de l’atelier administratif qui distribue la besogne aux ouvriers des diverses spécialités et les surveille à l’œuvre.

DES FONCTIONS EXTERIEURES.

Art.9 (Voir le précédent numéro.)

Plus de politique, par conséquent plus de diplomatie. Plus de ces intrigues de cabinet ou d'alcôve, de ces trames perfides et ténébreuses oudies par la fourberie et l'oppobre pour duper les moins fripons ou les plus faibles, comme la toile de l'araignée pour prendre les mouches. Mais des mandataires, drapés dans la loyale parole du peuple, et agissant au grand jour et à mandat découvert.

DE LA JUSTICE.

Art.10 (Voir le précédent numéro.)

DEBUT DE LA CITATION DE GIRARDIN

"Comme on le voit, je ne parle ni du geôlier, ni du bourreau, ni de la détention préventive et répressive, ni de la prison, ni de l’échafaud. Ces monstruosités gouvernementales ont fait leur temps. Je ne veux pour toute pénalité que la réparation morale ou matérielle, ou matérielle et morale, selon les cas ; et pour toute mesure préventive et répressive que la publicité, la constatation de la faute ou du crime rivée aux pas du fauteur ou du criminel.

Il faut qu’il ne puisse plus y avoir de péché caché. Il faut que tout péché pardonné ne puisse plus être qu’un péché réparé. La vie privée ne doit pas être m[û]rée, comme l’ont dit ou comme le répètent ceux qui ont des infamies privées à cacher ; elle doit être de verre, afin que tous puissent y lire publiquement et briser sur le front du vice le masque de la vertu. L’inscription universelle, non pas entièrement telle que la comprenait Girardin, mais revue et corrigée, est un des moyens de publicité qui peut servir avantageusement la cause du progrès et démolir, en se substituant à eux, les prisons et les bagnes, le Code pénal et l’échafaud. C’est à ce titre que j’en cite un extrait, après l’avoir élagué des passages qui ne rentrent pas dans mes vues ou qui m’ont sembler s’éloigner de mon sujet :

L’INSCRIPTION UNIVERSELLE.
  Il n’est rien de caché qui ne doive être mis à découvert, rien de secret qui ne doive être connu.
 
SAINT-LUC.
  Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous affranchira.
 
SAINT-JEAN.

L’inscription universelle assigne à chaque homme sa place, à chaque chose sa valeur, à chaque chiffre son rang ; c’est la science des mathématiques appliquées à l’étude de la politique avec la même certitude qu’elle est appliquée à l’étude de l’astronomie.

L’inscription universelle c’est la statistique vérifiée ; la statistique vérifiée c’est l’ordre social errant, ayant enfin trouvé son axe et son orbite.

L’inscription universelle, c’est le compte ouvert à tout enfant qui naît dans la commune, c’est le grand-livre de chaque Etat, grand livre où tout homme a sa page qui s’appelle Inscription de vie.

L’inscription universelle, c’est le vieux régime pénal, condamné par sa propre impuissance, radicalement réformé, heureusement détruit.

C’est le crime châtié par lui-même ;

C’est le vice extirpé par la publicité ;

C’est la conscience transparente ;

C’est la clarté du jour succédant à l’ombre de la nuit, ombre qui fait pulluler le vice et le crime, le mensonge et la fraude, la dilapidation et la misère, la dépravation et l’hypocrisie, tous les excès et toutes les hontes.

L’inscription universelle, c’est l’inscription individuelle multipliée autant de fois que la Commune compte d’habitants immatriculés, que l’Etat compte de Communes organisées, que le Globe compte d’Etats civilisés.

L’inscription universelle, en immatriculant l’homme et en lui ouvrant, dans la commune où il est né, un compte constamment tenu à jour, rend les recherches aussi faciles et aussi certaines, qu’elles le sont devenues lorsqu’on s’est avisé de mettre au coin de chaque rue le nom de la rue, au-dessus de chaque porte le numéro de la porte, ou sur l’enveloppe de chaque lettre le nom du destinataire, le nom de l’Etat, le nom de la ville, le nom de la rue et le numéro de la maison.

Avant de tomber en rebut, quel trajet et quels détours ne fait pas, quels retards n’éprouve pas, quelques risques ne court pas une lettre qui porte une indication insuffisante ou inexacte, lettre qui fût arrivée tout droit sans retards et sans risques avec une indication qui eût été exacte et suffisante !

Ce qui a lieu pour un grand nombre de lettres a lieu pour un nombre d’individus infiniment plus grand, individus qui, par l’immensité même de leur nombre et l’épaisseur de leur obscurité, échappent dans la plupart des circonstances et des actes de leur vie à tout contrôle nécessaire.

Je connais l’objection : elle consiste à dire qu’un contrôle qui riverait en quelque sorte l’individu à la commune comme la chaîne à l’anneau, qui le suivrait partout comme la chaîne qui s’allonge sans se rompre, serait la destruction de toute liberté.

Je réponds : Non, ce serait la destruction de toute obscurité. L’homme de bien qui n’aurait aucune tare à cacher conserverait sa liberté ; non-seulement il la conserverait entière, mais encore il ne tarderait pas à la posséder plus grande ; le malfaiteur, seul, y perdrait une forte partie de la sienne. Mais depuis quand donc la fausse monnaie est-elle fondée à se plaindre de ce que, la vraie étant trop parfaite, il soit trop difficile et conséquemment trop périlleux de la contrefaire ? Est-ce que la pièce de monnaie qui porte avec elle-même la preuve de sa valeur circule moins librement que si cette valeur n’était pas constatée et qu’il fallût vérifier le poids et le titre de chaque pièce chaque fois qu’elle passe d’une main dans une autre main ? Non, au contraire, elle circule d’autant plus librement, d’autant plus sûrement, d’autant plus rapidement, qu’elle est mieux frappée et plus inimitable ?

L’ordre, ce n’est pas la compression, c’est l’ordre ; mais pour que l’ordre existe dans une société il faut commencer par l’y établir.

Or, l’ordre social, qui comprend l’ordre matériel et l’ordre moral, inséparables l’un de l’autre, ne sera solidement assis que lorsqu’il reposera sur l’inscription universelle.

Alors les bons ne paieront plus pour les mauvais ; alors l’homme de paix, de liberté et de progrès ne sera plus légalement responsable de l’homme de trouble, de dictature ; alors il sera facile de reconnaître et de trier l’ivraie du bon grain ; alors il sera facile de faire la part et le compte de chacun ; alors, chacun étant responsable individuellement de ses actes, aucun ne sera plus injustement solidaire d’actes auxquels il aura refusé de s’associer.

L’inscription universelle, ce n’est donc pas seulement l’ordre, c’est aussi la liberté : la liberté mutuelle scellée par l’ordre public.

Chaque Commune est aux individus immatriculés ce que le titre, dans un Code, est aux articles ; chaque individu est aux valeurs possédées ce que l’article est au paragraphes. Ainsi, par la Commune s’établit le contrôle et s’acquiert la connaissance des personnes, et par les personnes le contrôle et la connaissance des choses. Choses et personnes ont leurs comptes ouverts, aussi exactement tenus et balancés que les comptes courants de la Banque de France.

Chaque extrait de ce compte est ce qui constitue l’Inscription de vie ou Police générale d’assurance, inscription de vie qui remplace :

L’acte de naissance ;
Le passe-port ;
La carte " législative " ;
Le livret.

La statistique, qui était un mensonge et une illusion, devient une vérité. Tout chiffre porte avec lui sa preuve. La preuve est ce qui en fait la valeur.

Alors la police se fait d’elle-même et sans agents ; elle est destituée par la statistique : l’espionnage, qui démoralise sans éclairer, est remplacé par l’enquête qui éclaire sans démoraliser.

Rien de plus simple que la justice pénale telle que je la conçois. Je ne lui demande point d’inventer des tortures et des instruments de supplice qui, pour faire briller la vérité d’une lueur douteuse, font pâlir l’humanité d’une lueur sinistre ; je ne lui demande point de construire des labyrinthes de procédure sous le prétexte menteur de garanties nécessaires à la légitime défense ; non, je ne demande à la justice pénale que d’être le fait judiciairement constaté ; et alors il suffira, pour qu’elle devienne la justice absolue, qu’elle soit la vérité relative.

On conviendra que si la justice humaine se bornait à n’être plus que la justice pénale, et que si la justice pénale se bornait à n’être plus que l’enquête judiciaire et la constatation publique du fait, elle serait singulièrement simplifiée.

Serait-il plus difficile d’être arbitre que d’être juré ? Est-il démontré que le président d’assises, dont actuellement la fonction consiste à appliquer la peine à l’accusé ou à renvoyer le prévenu de la plainte, ne fasse pas là une chose superflue, après que le jury a prononcé le verdict de condamnation ou d’acquittement qui admet ou qui écarte l’imputation du fait ?

Si la conscience publique était ce que, livrée à elle-même, elle ne tarderait pas à devenir, ne serait-elle pas de tous les juges le plus redoutable et le plus redouté ? Quelles peines seraient à craindre à l’égal de son blâme, de son mépris, de son exécration, équivalant le plus souvent à l’expatriation pour cause de honte publique ?

Expatriation pour cause de honte publique : — Quelle admirable peine, et comme celle-ci relèverait promptement une nation à ses propres yeux d’abord, et ensuite aux yeux de tous les autres peuples !

La peine de mort est-elle nécessaire pour que les hommes réunis en société jouissent d’une sécurité mutuelle ?

Je n’hésite pas à répondre : Non.

Mais ce n’est pas seulement la peine de mort qui doit disparaître, c’est tout l’ensemble des mesures de répression.

Mesures qui aggravent le mal au lieu de le diminuer !

Constater le crime commis doit être désormais son seul châtiment, châtiment plus terrible que celui qui consiste à le punir ; mais, de la rigueur de ce châtiment, le coupable ne pourra s’en prendre qu’ ! lui-même : s’il le trouve trop dur et trop long, ce sera son affaire de chercher comment, ayant commis la faute, il pourra l’expier, la réparer, l’effacer, se la faire pardonner.

En donnant pour unique châtiment au crime commis le crime constaté, que fait la société ?

Elle oblige ainsi le coupable à fuir, au bout du monde, le lieu de sa faute ; elle l’oblige, non par un texte de loi, mais par l’impossibilité absolue de s’envelopper dans l’ombre.

Si la publicité, telle qu’elle peut être constituée, faisait la lumière dans cette nuit qu’on appelle la Société, l’on n’aurait plus besoin ni d’échafauds ni de bagnes, ni de maisons de force et de correction, ni de Code pénal, ni de jury.

Alors le devoir de la justice serait extrêmement simple, car il se bornerait à constater que tel individu a commis tel jour, en tel lieu, tel meurtre, tel vol, tel faux ou tel autre acte condamné par la conscience publique.

La peine de mort et toutes les peines afflictives pourront être abolies dès que la société sera administrée comme elle peut et comme elle doit l’être.

C’est dans l’indélébilité du crime constaté que doit être la punition du crime commis."

FIN DE LA CITATION DE GIRARDIN
DE LA POLICE ET DE L’ARMEE.

Art. 11. (Voir le précédent numéro.)

Rappeler au souvenir de tous les scènes vexatoires et sanglantes de la police et de l’armée n’est-ce pas rappeler sur elles l’excommunication civique, la dissolution éternelle ?

La police et l’armée !... Eh ! qui donc, aujourd’hui encore, ne serait point las de tendre le cou au lacet et au yatagan de ces deux muets du capital, ce sultan aux fibres argentines, aux lubricités métalliques, aux jalousies impitoyables ?

La police, comme la justice, ne doit être que la conscience publique se manifestant librement. Là où la conscience publique est libre la police n’a pas de raison d’être. Chacun participant individuellement de la conscience publique, il s’en suit que chaque conscience individuelle devient à soi-même son propre agent de police.

L’armée, en tant que force organisée pour le soutien de l’Autorité et la guerre contre la Liberté à l’intérieur comme à l’extérieur, doit disparaître. Tout homme doit être homme d’armes quand la commune ou les communes unies, quand la chose publique est menacée. La fonction de légitime défense ne sauraient se déléguer. C’est, en régime de législation directe et universelle, un droit et un devoir comme celui de faire la loi, une dette personnelle et physique que chacun est tenu d’acquitter volontairement quand il y a danger à l’intérieur comme à l’extérieur. Chaque commune, à la rigueur, pourrait avoir ses cours de maniement d’armes, de tir au fusil et au canon et d’e[x]crime à la baïonnette. Certaines communes du centre pourraient même avoir des écoles spéciales pour le génie et l’artillerie. Certaines autres, comme les principaux ports-de-mer, pourraient aussi avoir des écoles de marines guerrière. Mais aucune ne pourrait avoir une organisation militaire de gens soldés, une force disciplinées de soldats, ces prétoriens forcés de tous les Césars passés, présents et futurs.

Le mieux même serait de supprimer tous ces exercices belliqueux. Il est toujours dangereux d’habituer les peuples d’aujourd’hui, ces grands enfants, à jouer au soldat. L’esprit public se chauvinise, se crétinise ainsi. Les fils héritent du goût des pères pour ces sortes de mascarades tragi-comiques et, pour répondre dans le moment présent à un danger souvent imaginaire, on crée pour la génération à venir un danger très réel, le danger de l’hébêtement en masse. Du reste et après tout, un peuple comme un homme est toujours fort, fut-il conscrit au maniement des armes, quand il a dans le cœur et dans le cerveau l’amour et l’intelligence de la liberté ! — A la fonte donc ! tous les canons rayés ou non. Transformons-les, comme la guillotine, cet autre engin de meurtre, en instruments de production. Révolutionnaires de France, voulons-[vous] être fort dans la lutte suprême de la Liberté contre l’Autorité ? voulons-[vous] triompher des ennemis du dedans comme des ennemis du dehors ? Eh bien ! à la prochaine proclamation de la République, donnons au monde un grand exemple : brûlons nos forteresses, comme les anciens brûlaient leurs vaisseaux !... Plaçons-nous dans la nécessité de vaincre ou de mourir. Il n’y a de prudents que les imprudents ! Rappelez-vous les barricades de Juin, ce sont elles qui ont perdu l’insurrection. Sans ces remparts de pavés, qu’il avait élevé de ses mains, le prolétariat ne serait pas resté à en veiller les créneaux dans se faubourgs, il aurait marché sur l’Hôtel-de-Ville, sur le Palais-Bourbon ; et, son nombre et son audace aidant, il serait sorti vainqueur de la lutte. C’est comme dernièrement en Italie, un remarque que d’autres auront pu faire comme moi : Les soldats autrichiens étaient-ils à l’abri de retranchements presque inexpugnables, soi-disant, — ils ne pouvaient résister à l’assaut des soldats français. Ce qu’il y a de curieux, c’est que ces mêmes Français, à l’abri des mêmes retranchements dont ils avaient délogé les Autrichiens, ne pouvaient, à leur tour résister à l’assaut de ces mêmes Autrichiens, qui pourtant s’étaient laissés déloger par eux l’instant d’auparavant. Des positions ont ainsi été prises et reprises six à sept fois, témoignant avec l’autorité de l’évidence contre le préjugé des fortifications. Si j’avais été le généralissime autrichien, j’aurais fait raser toutes les places-fortes encore en mon pouvoir, jusques et y compris le fameux quadrilatère. C’eût été, j’en suis sûr, un moyen de lutter avec plus de chance de succès contre la furiosa francesca. En définitive, si dans une guerre comme celle-là, une guerre d’intrigue, les forteresses sont une cause de perdition pour ceux qui les occupent, elles sont d’une utilité bien autrement douteuse dans une guerre de principe où la force morale est d’un bien plus grand secours que la force brutale, où l’énergie de pensée centuple la puissance de l’action.

Quant aux guerres révolutionnaires à l’intérieur ; en ce qui touche aux secours fraternitaires demandés par d’autres peuples en insurrection contre leur roi, leur clergé ou leur bourgeoisie ; ce sont des associations de volontaires qui devront s’organiser entre eux à la frontière et s’entendre avec les peuples insurgés qui les auront appelés ; à peu près comme les armées industrielles qui entreprendront le percement d’une montagne, le creusement d’un canal ou le dessèchement d’un marais.

DE L’ENSEIGNEMENT.

Art. 12. (Voir le précédent numéro.)

L’enseignement gratuit ; une indemnité allouée aux prolétaire qui suivront les cours et aux parents des jeunes élèves, ou l’enfant nourri, vêtu, couché dans une maison spéciale, aérée, spacieuse et ouverte à la vie extérieure, au lieu de l’enseignement à prix d’or et de la claustration des coll[é]ges.

L’enseignement libre. Chacun pouvant professer. C’est-à-dire l’essor donné au progrès. De nouvelles méthodes et de nouveaux plans d’études sortant des limbes de la théorie et venant demander et venant recevoir de la lumière de la publicité le baptême de l’expérience. L’enseignement des langues vivantes, par exemple, substitué pour le plus grand nombre à l’enseignement des langues mortes. L’instruction professionnelle et sociale substituée à l’instruction bourgeoise et avocassière. L’étude attrayante remplaçant l’étude abrutissante. — Les ignorantins du Catholicisme et de l’Université, les boutiquiers d’instruction et d’éducation tués, enterrés par la rude concurrence de la gratuité, de la liberté et de la vérité de l’enseignement. Tous ces marchands de prières et d’amulettes, sous prétexte d’éducation ; tous ces marchands de soupe ou de papier, sous prétexte d’instruction, chassés par le délaissement, du temple de la science. L’instituteur créé pour l’élève et non plus l’élève créé pour l’instituteur.

Article additionnel. " (Voir le précédent numéro.)

Parce que nul ne peut être contraint à subir les lois qu’il n’a pas faites et que, contre de pareilles lois, " l’insurrection est le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. "

C’est au peuple, s’il veut des lois, et une fois en possession du mécanisme de la législation directe, à mettre en ébullition toutes ses intelligences et à faire fonctionner tous ses rouages.

Oh ! — comme le plan des mains de l’ingénieur dans l’atelier de construction, que la législation directe n’est-elle pas passé du droit dans le fait ; que n’est-elle en mouvement au service de la souveraineté du peuple !

Oh ! se fait-on idée d’une organisation révolutionnaire de la force d’impulsion de 36 millions de têtes !

 

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