Le Chasseur.
Fable.
Dans une forêt dAmérique,
A travers les vieux troncs, les herbes, les roseaux,
Les lianes tressant leurs fantasques réseaux,
Les pins vêtus de mousse, indigène tunique ;
Les bayous, cours vaseux, flux de fétidité,
Les sols tremblants, tumeurs dont la croûte suppure.
Tous les goitreux aspects dune agreste nature
Folle de sève et dâpreté :
Enfin, un beau matin, par un soleil dété,
Un chasseur poursuivait des oiseaux de passage
Mais tous, à son approche, avec un cri sauvage,
Senvolaient, et fuyaient loin des coups du chasseur.
C‘est que notre héros (bâtard dun saint Pasteur
Et naturel des grandes villes)
Elevé par son précepteur
Dans la crainte des Dieux ainsi que des reptiles,
Serpents et crocodiles,
A chacun de ses pas, sur ce terrain rugueux,
Frissonnait, des pieds à la tête,
Dirriter dans son trou quelque sinistre bête.
Aussi regardait-il plus à terre quaux cieux….
Il navait rien tué, bien quil eut en prodigue
Epuisé sa poudre et son plomb.
Errant à laventure et traînant le talon,
Perdu dans la pinière… accablé de fatigue,
Il se laisse à la fin tomber tout de son long,
Implorant Dieu ! la sainte Vierge !
Promettant à Marie un cierge
Si, par miracle, il peur retrouver son chemin…
Mais la Vierge fut sourde, et sourd fut Dieu, le Père,
Cen est fait du chasseur. Or, la Bible à la main,
Au pied dun pacanier il mourut en prière.
Les vautours, les corbeaux en firent leur festin.
Priez, dévots, priez pour le pauvre crétin…
Il eut pu se sauver, moins lâche et moins stupide.
En prenant le soleil pour guide !
Ainsi le Prolétaire, infortuné chasseur,
Poursuivant ce gibier quon nomme le Bonheur,
Oiseau qui fuit loutil de son aile farouche,
Est distrait de son but, et tremble à chaque pas
De provoquer du pied, lovés sous quelques souche,
Ces êtres venimeux, froids, gluants, au front bas,.
Il trébuche en sa marche, et, pris de lassitude,
Sans vivres, sans boussole, effrayé de son sort,
Egaré dans le monde, hostile solitude,
Il cède au désespoir, perd sa droite attitude ,
Et sabandonne en proie aux ongles du plus fort...
Avec le cœur rempli dun moins lâche égoïsme,
Et lesprit moins tremblant devant lAutorité,
Avec un peu de nerf et de lucidité
Il pourrait se tirer de son morne ilotisme
Na-t-il pas pour soleil lardent Socialisme !
J.D.
N.O., 1857.
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