LES DEUX COUPABLES.

I.

Dans toute l’Europe, la Démocratie sérieuse a été et demeure opposée à la guerre due à l’Ambition et à l'Opiniâtreté.

L’ambition, c’est LOUIS-NAPOLEON.

C’est lui qui le tout premier, a refoulé par la Ruse, la Violence et le Parjure, les progrès faits en 1848, en France et en Europe, dans le sens des institutions libres : le fils de la Révolution s’est fait parricide ! Mais comme le mal ne peut qu’engendrer le mal, le Destin le pousse.

L’oppression qui pèse en France sur toute opinion indépendante ; l’anéantissement de la pensée ; l’espionnage et la délation érigés en système ; les cajoleries de la soldatesque ; les lois d’exception avec les cargaisons de transportés à Cayenne et en Algérie, l’omnipotence administrative ; le gouffre béant de la dette publique ; la participation des principaux bénéficiaires du Coup-d’Etat aux manœuvres industrielles et boursières ; le luxe asiatique de la cour ; l’adulation, la vénalité, l’hypocrisie religieuse — toutes ces causes devaient amener ce que nous voyons, à savoir : le roulement souterrain de la Révolution prête à éclater par son cratère fumant ; le mécontentement croissant et la méfiance invincible dans toutes les classes de la population ; les attentats périodiques, les conspirations incessamment renouvelées et le cauchemar qui poursuit la conscience chargées de tous ces méfaits.

Pourquoi s’étonner que le Destin pousse ! qu’il faut forger de nouveaux leviers pour remonter la machine ! charpenter de nouveaux étais pour appuyer le système chancelant ! établir de nouveaux fils pour diriger la foudre au dehors ! en un mot, poser du moxa au despotisme menacé [de] la goutte, et le soumettre à un traitement curatif qui peut amener la mort ?

" Va banque ! " telle était toujours la devise de ce joueur.

Approchez, ultramontains, aristocrates et réactionnaires, qui avez salué le Coup-d’Etat comme " un acte sauveur : " vous tous, conservateurs de toute nuance, qui avez battu des mains à l’anéantissement des derniers vestiges de liberté, et n’avez eu que des dédains pour les défenseurs des institutions républicaines — et dites-nous si cette guerre dynastique eût été possible en plein XIXème siècle si la France avait eu une presse libre, des élections libres, une tribune libre ?...

II.

L’Opiniâtreté, c’est FRANÇOIS-JOSEPH.

La maison de Habsbourg représente, plus que toute, le principe de la Stabilité et de la Réaction, l’opposition héréditaire à la Liberté et au Progrès, la Domination et l’Oppression ; elle est la personnification cristallisée du prétendu " droit historique, " avec les idées et les représentations d’un autre âge.

Rappelons quelques-uns des nombreux crimes dont est chargée cette dynastie, et qui sont moins connus que les faits d’oppression exercés contre l’Italie.

En 1687, les Hongrois sauvèrent la monarchie contre les Turcs. Pour les en récompenser, la Hongrie fut incorporée à l’empire et les Hongrois opposants furent pendus, écartelés, décapités. Les exécutions durèrent neuf mois entiers et la confiscation des biens devint la source des richesses de la famille impériale.

Les Polonais, conduits par Sobiesky, sauvèrent Vienne également des Turcs. Pour les en récompenser, la maison de Ha[p]sbourg s’associa au démembrement de la Pologne, un siècle plus tard. Marie-Thérèse s’abaissa jusqu’à appeler la Pompadour, cette courtisane de Louis XV, " ma chère cousine, " pour, par elle, amener le roi dans l’alliance contre Frédéric de Prusse.

C’est l’Autriche qui a fait assassiner, dans un guet-apens, les plénipotentiaires français revenant du congrès de Rastatt ; c’est l’Autriche qui a fait assassiner les nobles Galliciens libéraux par les paysans abrutis ; c’est l’Autriche qui a soudoyé douze bandits pour assassiner Kossuth dans son exil à Schumla.

L’Autriche a incorporé Cracovie.

L’Autriche a pendu des héros hongrois à Arad, à Comorn, à Pest.

L’Autriche a expulsé 6000 Tessinois.

III.

Tels sont les deux coupables.

Et il y a des fous qui prennent parti pour l’un ou pour l’autre ?

Lequel faut-il le plus haïr, celui qui s’avoue et s’étale en plein soleil, Radetzki, Haynau et Windischgra[æz] qui bravement sans ambages, à haute et intelligible voix, dénient aux peuples l’Indépendance, aux hommes la Liberté, — ou les Machiavels qui pourvus de toutes les hypocrisies, obligent les peuples à se battre, au nom du Droit et de la Liberté, pour leur esclavage ?

(Traduction du Tagblatt de Bâle)


 

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