LES SUSPECTS.

"Les journaux français annoncent que Blanqui dont la peine vient d’expirer, va être transporté à Cayenne et qu’on applique au prisonnier, condamné au nom de la sûreté de la République, une loi portée quatre ans plus tard pour la sûreté général de l’Empire. Cela est-il bien possible ? Quand la peine fut prononcée, l’Empire n’existait pas, et le prince Louis-Bonaparte était à peine devenu Président.

La rétroactivité est bien inscrite dans ces mesures rigoureuses, mais peut-elle remonter si loin ? tous les condamnés du 15 mai 1848 sont libres ou en exil ; plusieurs ont été élargis avant l’expiration de leur peine ; Blanqui a subi sa peine tout entière. Cela ne suffit-il pas ? Sauf trois mois de liberté en 1848, voilà 27 ans que Blanqui est en prison ; faut-il l’envoyer mourir à Cayenne ?"
(L’Observateur.)

Hommes d’autorité et de légalité démocratiques ou démagogiques, c’est la loi, la loi renouvelée de 93, la loi des Suspects, la loi de Salut public. — De quoi vous plaignez-vous donc ?

Est-ce de ce qu’on l’applique à un prince du sang de la Montagne?

Tous les jours des prolétaires sont envoyés à Cayenne au nom de cette même loi, et je ne sache pas que les journaux de la bourgeoisie libérale s’émeuvent pour si peu ; ils ne font pas tant de bruit pour ces suppliciés anonymes.

C’est qu’ils sentent chanceler le trône de Bonaparte ; ils augurent que demain Blanqui sera le dispensateur des faveurs et des places, le nouveau Cavaignac autour duquel devront se ranger tous les bourgeois assassins de la république sociale ; la future clé de voûte de l’ordre civilisé.

Cayenne est, pour ces courtisans de la veille, l’anti-chambre du prétendant, et ils y déposent leur carte afin d’aller, au lendemain, à l’Hôtel-de-Ville , la réclamer à sa Majesté le dictateur !...

— Mœurs de suspects ! mœurs de Salut bourgeois !


 

[article à imprimer]


 
[article précédent]  [article suivant]  [sommaire du n°13]  [accueil]