Les souteneurs de la Famille AUX ÉTATS-UNIS. Un procès vient davoir lieu à Washington. Il sagissait de juger un mari convaincu davoir assassiné lamant de sa femme. Sale procès, dégoûtants personnages ! à commencer par les coupables, meurtrier, victime ou complice, jusquaux avocats des deux parties, de la partie carrée, et aux juges ou jurés dans ladite cause. République marchande, voilà de tes murs ! Dabord, je commence par le dire, le mari, la femme et lamant sont trois... civilisés ensemble ; et les deux premiers puisque le troisième est mort, ne valent certainement pas la corde pour les pendre : la femme, pour appeler les choses par leur nom, sest conduit comme une salope, et le mari comme un souteneur de femme perdue peut se conduire. Homme, cest ainsi que je les juge. Je mexprime de la sorte sur leur compte, parce que je trouve leur conduite ou ignoble, ou sanglante ou sanglante et ignoble toute à la fois. La main sur ma conscience et ayant ouï le mari et la femme dans leur lâcheté et leur abjection, je les déclare indigne de toute sympathie humaine, coupables sans bénéfice des circonstances atténuantes, et je les condamne au mépris et à léloignement de mes semblables. Comme juré cependant, je les aurais acquittés, non pas en invoquant les mêmes considérations que les jurés américains mais parce que je ne reconnais pas lautorité du jury, lautorité des lois, lautorité de la force brute ; je les aurais acquittés comme jacquitterais, le cas échéant, cas impossible du reste pour un anarchiste, tout individu quel quil fût et quoi quil eût fait. Voici, daprès le Times de New-York, le cynique pourquoi du verdict dabsolution : "Après le procès, dit le correspondant, jai eu le plaisir de me rencontrer avec dix des gentlemen qui composaient le jury, et ils mont spécialement chargé de constater avec le désir que ce soit clairement compris, quils ont réglé leur verdict sur ce principe : quen labsence de tout châtiment proportionné par la loi au crime dadultère, tout homme qui viole lhonneur et désole le foyer de son prochain, le fait au péril de sa vie. Si donc il tombe frappé par la main de lépoux outragé, il mérite son sort. Ce principe, mont-ils dit, a été unanimement arrêté par eux, il y a six jours. A partir de ce moment, ils en ont fait un principe de la loi américaine." Ne touchez pas à ma femme ! disent ces parfaits gentlemen. Faites comme nous, sous-entendent-ils tout bas, allez au... lupanar. Il faut savoir quen Amérique, il est dusage parmi la fashion commerçante et notable daller, le soir, au sortir des affaires, se délasser du négoce dans quelque loge de tolérance, quelque cercle de ladies de joie, où sébat la triple orgie du jeu, de lalcool et de la chair. Cest leur Jockey-club à eux, leurs écuries dAugias, où roulent sur limmonde litière écuyers à bottes dor et cavales à deux bosses. Et cest dans un pays comme celui-ci, dans un pays où tous les époux sont des hommes dindustrie et les épouses des femmes entretenues, (il ny a pas, comme on sait, de règles sans exceptions,) et cest dans un pareil pays quun aéropage de jurés (probes et libres, comme on dirait en France,) vient de poser en vengeur de la morale et des époux outragés, en redresseur de la famille attaquée !... Comme ça leur va bien de monter sur leurs grands chevaux et de caracoler en chevaliers de la foi conjugale !... Mais, hâtons-nous de le dire, ce nest pas tant la foi que la propriété conjugale quils proclament. "Lhomme pensent-ils, lhomme marié ou non, a le droit de courir toutes les boutiques de prostitution ; la femme, la femme mariée, ne va courir que les boutiques de modes. Et si lépoux, lhomme dindustrie, ne lui fournit pas assez dargent pour ses gants, cest à elle lépouse, la femme entretenue, à être assez smart pour ne pas ne laisser prendre dans ses passes et repasses par son entreteneur légal. Au mari appartient le droit de vie et de mort... ou de rançon sur lamant et la femme adultère." Cest un principe reconnu par les très hauts, très puissants et très révérentissimes jurés, nos gentlemen et seigneurs. Je me permettrai de faire observer à ces dispensateurs du verdict des lois, qui baisent et font baiser la Bible, à ces honnêtes et modérés marchands du temple de Thémis, ces maris, pour la plupart septante-sept fois coupables du péché de chair avec de vénales infidèles, (car il ne faut pas parler damour aux Etats-Unis, pays de vendeurs et de vendus), je leur ferai observer que, pour des évangéliâtres, ils me semblent séloigner tant soit peu de la doctrine de certain juif de Nazareth, dun nommé Jésus, un perturbateur dautrefois, quils ont rapetissé à la taille dun Dieu, et qui, lui, cependant, ne condamnait point la femme adultère, mais bien au contraire ceux qui la lapidaient. Si Sickles navait pas été un potentat, un des leurs ; sil navait pas fait jouer dans sa défense la Bible et les signes de croix ; s'il n'avait été qu'un pauvre diable sans dollars dans la poche, sans influence dans les élections ; sil navait eu la caution ou lappui daucun loafer de rue, de bureau ou de salon, ce coureur et ce souteneur de filles, qui a cassé la tête à coups de revolver au prostitutionnaire Key, un autre gentleman comme lui et qui avait fait tapage public dans son bazar privé, ce lâche et infâme assassin assurément aurait été pendu haut et court. Mais à quoi lui serviraient ses balances, si la Justice bourgeoise et légale navait deux poids et deux mesures ? Il faut bien que chacun fasse son métier. Quand on tient boutique darrêts cest pour sen servir, ou autrement au diable le commerce : on est de la même corporation ou on en est pas. Dailleurs, il ny a pas de sot métier, dit-on, il ny a que de sottes gens. Mais ne trouvez vous pas, comme moi, qu'il y a énormément trop de sottes gens, ce qui fait quil y a aussi trop dautres gens pour vivre de certains métiers ? Quel tombereau à immondices que la famille... en y ajoutant la propriété, le gouvernement et la religion par[-]dessus ! Hommes de lAvenir, balayeurs du Présent, travailleurs de la chose publique, bouchez-vous le nez, cest la matière civilisée qui passe ! Le Scandale la traîne à la voirie. |