Variétés LHumanisphère
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Lenfant est un miroir qui réfléchit limage de la virilité. Cest la plaque de zinc où, sous le rayonnement des sensations physiques et morales, se daguerréotypent les traits de lhomme social. Et ces traits se reproduisent chez lun dautant plus accentués quils sont plus en relief chez lautre. Lhomme, comme le curé à ses paroissiens, aura beau dire à lenfant : "Fais ce que je te dis et non pas ce que je fais." Lenfant ne tiendra pas compte des discours, si les discours ne sont pas daccord avec les actions. Dans sa petite logique, il sattachera surtout à suivre votre exemple ; et, si vous faites le contraire de ce que vous lui dites, il sera le contraire de ce que vous lui avez prêché. Vous pourrez alors parvenir à en faire un hypocrite, vous nen ferez jamais un homme de bien. Dans lHumanisphère, lenfant na que de bons et beaux exemples sous les yeux. Aussi croît-il en bonté et en beauté. Le progrès lui est enseigné par tout ce qui tombe sous ses sens, par la voix et par le geste, par la vue et par le toucher. Tout se meut, tout gravite autour de lui dans une perpétuelle effluve de connaissances, sous un ruissellement de lumière. Tout exhale les plus suaves sentiments, les parfums les plus exquis du coeur et du cerveau. Tout contact y est une sensation de plaisir, un baiser fécond en de prolifiques voluptés. La plus grande jouissance de lhomme, le travail, y est devenu une série dattraits par la liberté et la diversité des travaux et se répercute de lun à lautre dans une immense et incessante harmonie. Comment, dans un pareil milieu, lenfant pourrait-il ne pas être laborieux, studieux ? Comment pourrait-il ne pas aimer à jouer à la science, aux arts, à lindustrie, ne pas sessayer, dès lâge le plus tendre, au maniement de ses forces productives ? Comment pourrait-il résister au besoin inné de tout savoir, au charme toujours nouveau de sinstruire ? Répondre autrement que par laffirmative, ce serait vouloir méconnaître la nature humaine. Voyez lenfant des civilisés même, le petit du bonnetier ou de lépicier ; voyez-le au sortir du logis, à la promenade ; aperçoit-il une chose dont il ne connaissait pas lexistence ou dont il ne comprend pas le mécanisme, un moulin, une charrue, un ballon, une locomotive : aussitôt il interroge son conducteur, il veut connaître le nom et lemploi de tous les objets. Mais, hélas ! bien souvent en civilisation, son conducteur, ignorant de toutes les sciences ou préoccupé dintérêts mercantiles, ne peut ou ne veut lui donner les explications quil sollicite. Si lenfant insiste, on le gronde, on le menace de ne plus le faire sortir une autre fois. On lui ferme ainsi la bouche, on arrête violemment lexpansion de son intelligence, on la musèle. Et quand lenfant a été bien docile tout le long du chemin, quil sest tenu coi dans sa peau, et na pas ennuyé papa et maman de ses importunes questions ; quand il sest laissé conduire sournoisement ou idiotement par la main, comme un chien en laisse ; alors on lui dit quil a été bien sage, bien gentil, et, pour le récompenser, on lui achète un soldat de plomb ou un bonhomme de pain dépice. Dans les sociétés bourgeoises cela sappelle former lesprit des enfants. Oh ! lautorité ! oh ! la petite famille !... Et personne sur les pas de ce père ou de cette mère pour crier : Au meurtre ! au viol ! à linfanticide !... Sous laile de la liberté, au sein de la grande famille, au contraire, lenfant, ne trouvant partout chez ses aînés, hommes ou femmes, que des éducateurs disposés à lécouter et à lui répondre, apprend vite à connaître le pourquoi et le comment des choses. La notion du juste et de lutile prend ainsi racine dans son juvénile entendement et lui prépare déquitables et intelligents jugements pour lavenir. Chez les civilisés, lhomme est un esclave, un enfant en grand, une perche qui manque de sève, un pieu sans racine et sans feuillage, une intelligence avortée. Chez les humanisphériens, lenfant est un homme libre en petit, une intelligence qui pousse et dont la jeune sève est pleine dexubérance. Les enfants en bas âge ont naturellement leur berceau chez leur mère ; et toute mère allaite son enfant . Aucune femme dans lHumanisphère ne voudrait se priver des douces attributions de la maternité. Si lineffable amour de la mère pour le petit être à qui elle a donné le jour ne suffisait pas à la déterminer den être nourrice, le soin de sa beauté, linstinct de sa propre conservation le lui dirait encore. De nos jours, pour avoir tari la source de leur lait, il y a des femmes qui en meurent, toutes y perdent quelque chose de leur santé, quelque chose de leur ornement. La femme qui fait avorter sa mamelle commet une tentative dinfanticide que la nature réprouve à légal de celle qui fait avorter lorgane de la génération. Le châtiment suit de près la faute. La nature est inexorable. Bientôt le sein de cette femme sétiole, dépérit et témoigne, par une hâtive décrépitude, contre cet attentat commis sur ses fonctions organiques, attentat de lèse-maternité. Quoi de plus gracieux quune jeune mère donnant le sein à son enfant, lui prodiguant les caresses et les baisers ? Ne fût-ce que par coquetterie, toute femme devrait allaiter son enfant. Et puis nest-ce donc rien de suivre jour par jour les phases de développement de cette jeune existence, dalimenter à la mamelle la sève de ce brin dhomme, den suivre les progrès continus, de voir ce bouton humain croître, et sembellir sous les rayons de la tendresse maternelle, comme le bouton de fleur à la chaleur du soleil, et sy entrouvrir enfin de plus en plus, jusquà ce quil sépanouisse sur sa tige dans toute la grâce de son sourire et la pureté de son regard, dans toute la charmante naïveté de ses premiers pas ? La femme qui ne comprend pas de pareilles jouissances nest pas femme. Son coeur est une lyre dont les fibres sont brisées. Elle peut avoir conservé lapparence humaine, elle nen a plus la poésie. Une moitié de mère ne sera jamais quune moitié damante. Dans lhumanisphère, toute femme a les vibrations de lamour. La mère comme lamante tressaillent avec volupté à toutes les brises des humaines passions. Leur coeur est un instrument complet, un luth où pas une corde ne manque; et le sourire de lenfant comme le sourire de lhomme aimé y éveille toujours de suaves émotions. Là, la maternité est bien la maternité, et les amours sexuelles de véritables amours. Dailleurs, ce travail de lallaitement, comme tous les autres travaux dalors, est bien plutôt un jeu quune peine. La science a détruit ce qui est le plus répugnant dans la production, et ce sont des machines à vapeur ou à électricité qui se chargent de toutes les grossières besognes. Ce sont elles qui lavent les couches, nettoient le berceau et préparent les bains. Et ces négresses de fer agissent toujours avec docilité et promptitude. Leur service répond à tous les besoins. Cest par leurs soins que disparaissent toutes les ordures, tous les excréments ; cest leur rouage infatigable qui sen empare et les livre en pâture à des conduits de fonte, boas souterrains qui les triturent et les digèrent dans leurs ténébreux circuits, et les déjectent ensuite sur les terres labourables comme un précieux engrais. Cest cette servante à tout faire qui se charge de tout ce qui concerne le ménage ; elle qui arrange les lits, balaye les planchers, époussette les appartements. Aux cuisines, cest elle qui lave la vaisselle, récure les casseroles, épluche ou ratisse les légumes, taille la viande, plume et vide la volaille, ouvre les huîtres, gratte et lave le poisson, tourne la broche, scie et casse le bois, apporte le charbon et entretient le feu. Cest elle qui transporte le manger à domicile ou au réfectoire commun ; elle qui sert et dessert la table. Et tout se fait par cet engrenage domestique, par cette esclave aux mille bras, au souffle de feu, aux muscles dacier, comme par enchantement. Commandez, dit-elle à lhomme, et vous serez obéi. Et tous les ordres quelle reçoit sont ponctuellement exécutés. Un humanisphérien veut-il se faire servir à dîner dans sa demeure particulière, un signe suffit, et la machine de service se met en mouvement ; elle a compris. Préfère-t-il se rendre aux salons du réfectoire, un wagon abaisse son marchepied, un fauteuil lui tend les bras, léquipage roule et le transporte à destination. Arrivé au réfectoire, il prend place où bon lui semble, à une grande ou à une petite table, et y mange selon son goût. Tout y est en abondance. Les salons du réfectoire sont dune architecture élégante, et nont rien duniforme dans leurs décorations. Un de ces salons était tapissé de cuir repoussé encadré dune ornementation en bronze et or. Les portes et les croisées avaient des tentures orientales fond noir à arabesques dor, et bardé en travers de larges bandes de couleurs tranchantes. Les meubles étaient en bois de noyer sculpté, et garnis détoffe pareille aux tentures. Au milieu de la salle était suspendue, entre deux arcades, une grande horloge. Cétait tout à la fois une Bacchante et une Cérès en marbre blanc, couchée sur un hamac en mailles dacier poli. Dune main elle agaçait avec une gerbe de blé un petit enfant qui piétinait sur elle, de lautre elle tenait une coupe quelle élevait à longueur de son bras au-dessus de sa tête, comme pour la disputer à lenfant mutin qui cherchait à semparer en même temps et de la coupe et de la gerbe. La tête de la femme, couronnée de pampres et dépis, était renversée sur un baril de porphyre qui lui servait doreiller, des gerbes de blé en or gisaient sous ses reins et lui formaient litière. Le baril était le cadran où deux épis dor marquaient les heures. Le soir, une flamme sépanchait de la coupe comme une liqueur de feu. Des pampres en bronze, qui grimpaient à la voûte et couraient sur le plafond, dardaient des flammes en forme de feuilles de vigne, faisaient un berceau de lumière au-dessus de ce groupe et en éclairaient tous les contours. Des grappes de raisin à grains de cristal pendaient à travers le feuillage et scintillaient au milieu de ces ondoyantes clartés. Sur la table, la porcelaine et le stuc, le porphyre et le cristal, lor et largent recelaient la foule des mets et des vins, et étincelaient au reflet des lumières. Des corbeilles de fruits et de fleurs offraient à chacun leur saveur et leur senteur. Hommes et femmes échangeaient des paroles et des sourires, et assaisonnaient leur repas de spirituelles causeries. AVIS. Ayant en mains une centaine de collections complètes du LIBERTAIRE, nous prévenons les nouveaux abonnés que nous pouvons encore expédier tous les numéros parus à ceux qui en feraient la demande. |