A MOI ! A moi, les enfants, non pas de la Veuve, la séculaire radoteuse, la vieille portière claquemurée en loge, mais les enfants de la femme immortellement féconde ; à moi, les enfants de la Liberté ! Lhiver approche. Voici le moment de la chute des feuilles et de lagonie des poitrines oppressées. Le Libertaire et son rédacteur seront-ils assez robustes pour braver lintempérie des hommes et des choses ? Pourront-ils résister au froid mortel qui les menace ? Question qui nest pas résolue. Dans le doute, et lexistence des souffreteux nayant rien dassuré, nous nous dépêcherons de publier ce qui nous croyons le plus utile de produire. Le prochain numéro contiendra le commencement dun article détaché des notes à LHumanisphère, avec ce titre : Le Circulus dans lUniversalité. Cest en quelque sorte la philosophie des idées émises dans cet ouvrage. Le Libertaire, comme les vagabonds oiseaux, vit au jour le jour, au mois le mois, et ce ne sont pas les dieux qui lui donnent pâture. Il lui a fallu toute la force de volonté de son rédacteur, des efforts inouïs pour parcourir le temps écoulé depuis sa naissance, pour atteindre à son septième numéro. Il nest pas à bout de courage ; mais la nature humaine ne peut pas toujours être violentée, elle ne lest jamais impunément ; le physique comme le moral a ses besoins : le cerveau ne peut pas toujours exploiter le bras, le manuvre toujours payer pour le penseur. Dailleurs, avec lhiver va venir le chômage, et ce travailleur na dautres ressources que son travail manuel. Les cotisations que des prolétaires avaient promises, au début, ont presque entièrement fait défaut. Les promesses dAtelier se sont changées en promesses dHôtel-de-Ville Jusquici, les abonnements sont en si petit nombre que cest à peine pour payer les frais de poste des journaux et lettres envoyés ou reçus. Aussi la situation financière du Libertaire est-elle plus que jamais critique. Les hommes qui se disent radicalement révolutionnaires veulent-ils, oui ou non, laider dans la lutte ? Veulent-ils quil continue à paraître au moins une fois le mois ? Quils tàchent alors dêtre un peu moins sordides ! Il ne suffit pas davoir la solidarité sur les lèvres, il faut encore que les actions répondent aux paroles ; autrement cest de lhypocrisie, cest de la lâcheté. Avec ou sans leur appui, le journal nen continuera pas moins à paraître, seulement, à intervalles plus ou moins réguliers. Son rédacteur nest pas homme à lâcher pied facilement. Ce nest pas lui qui cédera en esclave au cri de sauve-qui-peut général. Il ne baissera pas pavillon devant les intérêts bourgeois, les petites vanités sournoises, pas plus que devant les préjugés populaires, les ignorances crasses. Il a encore plus dune bordée en tête à lâcher aux ennemis volontaires ou involontaires de la Révolution sociale, quel[l]e que soit la couleur dont ils sabritent. Si, aujourdhui, il paraît avec son pavillon en berne, ce nest pas, certes ! en signe de reddition, mais pour donner à ses amis connaissance de sa détresse. Le Libertaire, comme le Vengeur, a cloué son pavillon à son mât, son idée à son front ; et, sil faut quil sombre, ce sera, comme cette glorieuse épave, au cri de : Vive la Liberté ! et en faisant feu... jusquà fleur deau, en combattant jusquà ce que mort sen suive. Il fallait de largent pour ce numéro. Les quelques piastres que louvrier a gagnées à la fatigue de son corps, et dont il comptait sacheter des habits dhiver eh bien ! à défaut dautres munitions, à défaut dabonnements ou de souscriptions, le rédacteur en fait une fois encore de la mitraille ; il en charge la presse typographique sur ses affûts ; et, debout sur le banc de quart, comme je ne sais plus quel écumeur de mer, il jette à limprimeur attentif à son poste cette exclamation sonore et lugubre, ce mot qui est un mot de commandement : Envoyez ! ! ! Et lon parle de Presse libre en Amérique ! Libre, oui, à prix dor ! Et quand cet or cest du pain pour la faim, des vêtements pour le froid, quest-ce quune pareille liberté sinon lesclavage ou la mort ? Mais quoi ! Tu frémis, Libertaire, pâle séditieux ? Allons donc ! Songe à Satan, père des démons, Satan, type des rebelles. "Aide-toi... lEnfer taidera !" Ainsi soit-il ! |