L’échange.

« Soyez donc franchement, entièrement anarchiste, et non pas quart d’anarchiste, huitième d’anarchiste, seizième d’anarchiste, comme on est quart, huitième, seizième d’agent de change. Poussez jusqu’à l’abolition du contrat, l’abolition non-seulement du glaive et du capital, mais de la propriété et de l’autorité sous toutes formes. Arrivez-en à la communauté-anarchique, c’est-à-dire l’état social où chacun serait libre de produire et de consommer à volonté et selon sa fantaisie sans avoir de contrôle à exercer ou à subir de qui que ce soit ou sur qui que ce soit, où la balance entre la production et la consommation s’établirait naturellement, non plus par la détention préventive et arbitraire aux mains des uns ou des autres, mais par la libre circulation des forces et des besoins de chacun. Les flots humains n’ont que faire de vos digues ; laissez passer les libres marées : chaque jour ne les ramènent-elles pas à leur niveau ! »

(De l’Etre-Humain, Lettre à P.J. Proudhon.)

L’échange, comme toute chose, peut-être considéré sous trois aspects : le passé, le présent, l’avenir.

Dans le passé, ceux qui rassemblèrent dans un bazar les produits épars de l’industrie et de l’agriculture, les marchands qui étalèrent sous un portique ce qu’ils appelèrent leurs marchandises, firent alors, dans une certaine mesure, de l’échange. Aujourd’hui, nous appelons cela du commerce, c’est-à-dire du parasitisme, et nous avons raison. Car si, relativement à l’état des lieux et des esprits, ils ont été de quelque utilité dans leur temps, dans le nôtre ceux qui tiennent boutique n’ont plus les mêmes prétextes à faire valoir pour continuer à subsister aux dépens du producteur et du consommateur. Le commerçant est purement et simplement un voleur légal. Dans un quartier de ville, par exemple, où un unique bazar serait suffisant, et où quelques centaines d’employés pourraient facilement faire le service, il existe peut-être mille boutiques et six ou dix mille patrons ou commis. Autant il est d’intermédiaires en plus des quelques centaines rigoureusement nécessaires au besoin de l’échange, autant par conséquent il est de parasites, autant de voleurs. Et maintenant, si l’on considère combien ces boutiques ont coûté de travaux, combien de bras et de matériaux ont ainsi été détournés de leur véritable destination, qu’on juge de la somme de production journellement gaspillée pour satisfaire aux appétits de cette bourgeoisie rapace et pédantesque, caste de monopoleurs et de mercenaires destinés par l’enseignement collégial et la tradition paternelle à la noble mission de vendeurs, enfants de troupe civils, exercés dès le biberon au maniement des écus, à l’amour des rapines. Le commerce ne se discute pas : c’est le pillage organisé ; il détrousse légalement et celui qui produit et celui qui consomme.

Le boutiquier en gros, en demi-gros, en détail n’est pas le seul intermédiaire entre le producteur et le consommateur. Cette triple usure ne s’attache à ses flancs qu’en dernière resucée.

Le producteur qui n’a pas en sa possession l’instrument de travail (et c’est le plus grand nombre, pour ne pas dire l’universalité), ce producteur est de plus exploité par un autre genre de parasites — l’industriel — c’est-à-dire le chef de fabrique et son personnel de commis, sans parler du banquier et du sous-banquier, nourris par le fabricant, et par conséquent nourris par l’ouvrier, puisque rien de productif ne se fait que par ses nains, et que tout ce qui se fait par ses mains passe sous la coupe du patron. En échange de l’instrument de travail l’ouvrier livre donc au maître tout son travail et en reçoit un salaire ; c’est-à-dire qu’il donne à manger au maître une pomme pour que le maître lui en abandonne les pépins. Singulière compensation ! échange dérisoire ! Il en est de même pour le paysan envers le fermier, pour le prolétaire envers le propriétaire. Les prolétaires ont construit la maison, maçons, charpentiers, couvreurs, menuisiers, serruriers, peintres, sans parler des carriers, des bûcherons, des mineurs, fondeurs et forgerons, des potiers et des verriers, tous ceux qui manipulent la terre, le sable, la pierre, le bois et le fer y ont travaillé ; c’est eux qui l’ont faite cette maison, depuis les fondations jusqu’aux combles. Eh ! bien, pour y loger, et dans les mansardes même, il faut encore qu’ils paient un odieux tribut trimestriel, le loyer, au bienheureux oisif qui la détient. Tous ces propriétaires, ces fermiers, ces chefs de fabrique et tout leur personnel de commis, leurs supérieurs, les banquiers, et les bureaucraties budgétaires, tout cela c’est autant de nuées de sauterelles qui s’abattent sur la moisson de l’ouvrier des villes et des campagnes, et dévorent son blé en herbe, son pain avant qu’il ne soit cuit. Voleurs ! voleurs ! voleurs !

Et cependant tous ces vampires sont dans la légalité, tous ces filous sont des honnêtes gens ? Fiez-vous donc aux qualifications officielles !

Tel est l’échange, comme l’entendent les réacteurs, autrement dit le commerce, ou autrement l’exploitation, ou autrement encore le vol. C’est l’échange dans sa civilisation, dans sa barbarie, dans sa sauvagerie primitive, l’échange dans son arbitraire originel, l’échange de droit divin, le commerce dans son despotisme absolu.

Au temps présent, — ce qui ne veut pas dire en fait, puisque le commerce, l’exploitation, le vol ont toujours force légale, mais en idée, — l’échange se comprend différemment.

L’inutilité du patron et du boutiquier une fois reconnue, l’on s’est dit : tout ce qui est inutile est nuisible, et ce qui est nuisible doit être supprimé ; il faut que l’intermédiaire disparaisse. Le parasitisme, comme le figuier stérile, est condamné par les masses à être jeté au brasier révolutionnaire pour y être détruit. "Ce qui ne produit pas est indigne de vivre". L’idée de justice, allant grandissant dans l’opinion publique, a formulé ainsi l’échange : le droit à la possession de l’instrument de travail, c’est-à-dire la gratuité du crédit ; et le droit à la possession des fruits de son travail, c’est-à-dire la démocratisation de la propriété, le commerce universel et direct, — formule de transition sociale qui dans l’ordre politique correspond à celle-ci : le droit à l’instrument gouvernemental, c’est-à-dire la démocratisation du gouvernement, la législation universelle et directe.

Le commerce et le gouvernement ainsi compris, — le commerce, échange direct, le gouvernement, législation directe — cette organisation transitoire qui conserve la tradition du passé, tout en laissant la parole à l’initiation de l’avenir, aussitôt qu’on pourra la mettre en application, c’est dire aussitôt qu’on le voudra, la société qui aujourd’hui s’étiole dans la misère et l’esclavage, entre des fagots de verges et des piles d’écus, la société entrera immédiatement dans une phase ascendante de richesse et de liberté. L’empreinte du préjugé autoritaire, la macule du propriétarisme et de la légalité s’effacera peu à peu de la cervelle humaine ; l’exercice intellectuel et moral développera dans l’individu le sentiment anarchiste ; l’exercice industriel et législatif développera dans la société le sentiment de la communauté sociale, de la liberté individuelle.

En commençant cet article, je ne voulais parler que de l’échange, et j’ai été amené à parler aussi du gouvernement. C’est ce que je ne pouvais moins faire. En effet, si le contrat est la loi entre les travailleurs, la loi est le contrat entre les habitants. Une administration nationale ou départementale ou communale ne doit pas plus faire la loi qu’une administration agricole ou industrielle ne doit faire le contrat. C’est à tous les travailleurs d’un groupe qu’il appartient de contracter entre eux et en dehors d’eux, comme c’est à tous les habitants d’une commune ou d’une nation qu’il appartient de légiférer. L’administration agrico-industrielle ou communale ou nationale n’a pas à commander, mais à obéir. L’administration, c’est le commis ; le groupe de travailleurs ou d’habitants, c’est le maître ; et le maître n’a-t-il pas toujours le droit de casser aux gages et de congédier sur l’heure l’agent qui remplit mal ses fonctions ?

Sans doute le droit conventionnel, le contrat, la loi, même universellement et directement exercés, ne sont pas le droit naturel, la justice. C’est un compromis entre l’anarchie et l’autorité, et tout ce qui n’est pas complètement la justice est l’injustice. L’échange direct, cette réforme inaugurée dans les idées populaires par Proudhon, est encore du juste-milieu, c’est une adjonction de capacités, l’élargissement du cens commercial, tandis que ce n’est pas seulement le renversement du commerce absolu qu’il nous faut, c’est aussi le renversement du commerce constitutionnel ou contrationnel ; c’est, en fait de circulation productive et consommative, la déclaration des droits individuels de l’être HUMAIN, et la proclamation de la CHOSE publique, c’est-à-dire la liberté de production et de consommation à tout individu dans l’unité et l’universalité du capital.

Néanmoins, un changement pareil à celui que produirait l’échange-direct serait une grande amélioration sociale vers laquelle aujourd’hui doivent tendre tous les travailleurs. Tous leurs efforts doivent être dirigés vers ce point, et on y arrivera avant peu, je l’espère. Mais enfin, ce point n’est pas le but, ce progrès n’est pas la justice, ce n’est qu’une étape sur la route du mieux, un pas de fait dans la direction du juste. On peut s’y ra[ff]raichir et s’y délasser un moment ; il y aurait péril à s’y endormir. En révolution il faut doubler et tripler les étapes, il faut gagner du terrain sur l’ennemi, si l’on veut échapper à ses poursuites et le dépister. Le point le plus éloigné du passé en passant par le présent, c’est le point qu’il faut tenter d’atteindre. Sortant du commerce pour entrer dans l’échange-direct, il faut pousser jusqu’à l’échange-naturel, négation de la propriété ; comme sortant de l’autorité gouvernementale pour entrer dans la législation-directe, il faut pousser jusqu’à l’anarchie, négation de la légalité.

Par échange-naturel j’entends la liberté illimitée de toute production et de toute consommation ; l’abolition de tout signe de propriété agricole, industrielle, artistique ou scientifique ; la destruction de tout accaparement individuel des produits du travail ; la démonarchisation et la démonétisation du capital manuel et intellectuel aussi bien que du capital instrumental, commercial et monumental. Tout capital particulier est usuraire, c’est une entrave à la circulation ; et tout ce qui entrave la circulation entrave la production et la consommation. Tout cela est à détruire, et le signe représentatif est de ce nombre : il constitue l’arbitraire aussi bien dans l’échange que dans le gouvernement.

Dans la mécanique, on procède presque toujours du simple au composé, et ensuite du composé au simple. Un homme découvre le levier, instrument simple et doué d’une certaine puissance. D’autres viennent qui s’en emparent, et en font à leur tour un appareil plus compliqué, ils y ajoutent rouages et engrenages, et ils en décuplent ainsi la force. Cependant, des frottements continuels ont lieu qui nuisent à la marche de ce mécanisme. On le surcharge d’autres rouages et d’autres engrenages ; on obtient en apparence des résultats plus satisfaisants, mais toujours bien imparfaits, et surtout bien peu en rapport avec les peines et les travaux dépensés pour l’améliorer. Vient alors un autre ingénieur, dégagé de l’esprit de routine et ayant en tête l’idée d’un nouveau moteur ; l’expérience lui a démontré qu’un vieux mécanisme surchargé de complications ne se répare pas ; qu’on le remplace en le simplifiant : et après avoir jeté bas cette chose informe, qui traînait de l’aile sur le bord d’un fossé que n’alimentait plus suffisamment le flot épuisé dans sa source, — il reconstruit sur des plans entièrement neufs une machine considérablement simplifiée, mue par la vapeur ou l’électricité, et qui cette fois fonctionne sans déperdition de force et produit au centuple de ce que produisait le vieil appareil.

Il en est de même pour l’organisme social. Le commerce primitif a été le levier, instrument simple et naïf de la circulation ; la production et la consommation en ont reçu un commencement d’activité. Aujourd’hui, vieux mécanisme qui fait honte au progrès, il a, entre ses engrenages de métal, assez et trop broyé de travailleurs dont il a exprimé les sueurs et le sang et les larmes. D’innombrables modifications, toutes plus compliquées et plus monstrueuses les unes que les autres, y ont été apportées ; et cependant il ne vaut pas au prolétaire la millième partie de ce qu’il lui coûte. C’est quelque chose de ruineux pour le producteur comme pour le consommateur.

L’échange-direct, la possession par le travailleur des produits de son travail, changerait certainement la face des choses et accélérerait dans des proportions considérables le mouvement de production et de consommation, et augmenterait ainsi la somme de bien-être individuel et social. Mais des froissements sans nombre auraient encore lieu, la circulation ne serait toujours pas libre, et sans la liberté de circulation il n’y a pas de liberté de production, pas de liberté de consommation.

Encore une fois ce serait un progrès, ce n’est pas la justice. Une évolution n’est pas une révolution.

D’abord, en principe, le travailleur a-t-il droit au produit de son travail ?

Je n’hésite pas à répondre : non ! bien que je sache que multitude d’ouvriers vont se récrier.

Voyons, prolétaires, criez, criez tant que vous voudrez, mais après écoutez-moi :

Non, ce n’est pas au produit de son travail que le travailleur a droit : c’est à la satisfaction de ses besoins, que[l]que soit la nature de ses besoins.

Avoir la possession du produit de son travail ce n’est pas avoir la possession de ce qui nous est propre, c’est avoir la propriété d’un produit fait par nos mains, et qui peut n’être propre qu’aux autres et nullement à nous. Toute propriété n’est-elle pas un vol ?

Par exemple, celui-ci est tailleur, je suppose, ou cordonnier. Il a produit plusieurs habits ou plusieurs paires de souliers. Il ne peut les consommer tous à la fois. Peut-être, d’ailleurs, ne sont-ils ni à sa taille ni selon son goût. Evidemment il ne les a faits que parce que c’est son métier de les faire, et en vue de les échanger contre d’autres produits dont il éprouve le besoin ; et ainsi de tous les travailleurs. Ces habits ou ces souliers ne sont donc pas sa possession puisqu’ils ne lui sont d’aucun usage personnel ; mais c’est une propriété, une valeur qu’il accapare et dont il dispose selon son bon plaisir, qu’il peut à la rigueur anéantir s’il lui plait, et dont il peut tout au moins user et mésuser à son gré ; c’est dans tous les cas, une arme pour attenter à la propriété des autres, dans cette lutte des intérêts divisés et antagonistes où chacun est livré à toutes les chances et à tous les hasards de la guerre.

Au surplus, ce travailleur est-il bien fondé, en droit et en justice, à se déclarer le seul producteur du travail accompli par ses mains ? Est-ce qu’il crée quelque chose de rien ? est-ce qu’il est une personnalité omnipotente ? est-ce qu’il possède le savoir manuel et intellectuel de toute éternité ? Est-ce que son art et métier est inné en lui ? Ouvrier, est-il sorti tout outillé du ventre de sa mère ? est-il uniquement le fils de ses œuvres ? n’est-il pas un peu l’œuvre de ses aïeux, l’œuvre de ses contemporains ? Tous ceux qui lui ont montré à manier l’aiguille et les ciseaux, l’alène et le tranchet, qui l’ont initié d’apprentissage en apprentissage au degré d’habil[i]té qu’il a atteint, n’ont-ils pas aussi quelque droit à une part de son produit ? Les innovations successives des générations antérieures ne sont-elles pas aussi pour quelque chose dans cette production qu’il a faite ? Ne doit-il rien à la génération présente ? ne doit-il rien à la génération future ? Et est-ce donc justice à lui de cumuler ainsi dans sa main les titres de tous ces travaux accumulés et de s’en approprier exclusivement les bénéfices ?

Si l’on admet le principe de la propriété du produit pour le travailleur (et, qu’on ne s’y trompe pas, c’est bien une propriété, et non une possession, comme je viens de le démontrer), la propriété devient, il est vrai, plus accessible à chacun, sans pour cela être plus assurée à tous. La propriété c’est l’inégalité, et l’inégalité c’est le privilège, c’est la servitude. Selon que tel produit sera plus ou moins demandé, tel producteur sera plus ou moins lésé, plus ou moins avantagé. La propriété de l’un ne peut s’agrandir qu’au détriment de la propriété de l’autre, la propriété nécessite des exploiteurs et des exploités. Avec la propriété du produit du travail, la propriété démocratisée, ce ne sera plus l’exploitation du grand nombre par le plus petit, comme avec la propriété du travail par le capital, la propriété monarchisée ; mais ce sera encore l’exploitation du plus petit nombre par le plus grand. Ce sera toujours l’iniquité, la division des intérêts, la concurrence ennemie, avec des désastres pour les uns et des succès pour les autres. Sans doute ces revers et ces triomphes, n’auront rien de comparable aux misères et aux fortunes scandaleuses qui insultent de nos jours au progrès social. Cependant, le sein de l’humanité sera encore déchiré par des luttes fratricides qui, pour être moins terribles, n’en seront pas moins préjudiciables au bien-être particulier, au bien-être général.

La propriété, c’est non-seulement l’inégalité, c’est aussi l’immoralité. Tel producteur favorisé par une spécialité lucrative pourra, dans sa prospérité, s’autoriser de son gain quotidien pour détourner de son travail une femme (s’il est un homme), ou un homme (s’il est une femme), et lui inoculer dans les veines le virus de la paresse, le germe contagieux de la dégradation physique et morale, résultats de la prostitution. Tous les vices, toutes les dépravations, toutes les exhalaisons pestilentielles sont contenues dans ce substantif hiéroglyphique, coffret qui n’est qu’un cercueil, momie des civilisations lointaines, et qui n’est arrivé jusqu’à nos jours que portée par des flots de commerce, par des siècles d’usure, — la PROPRIÉTÉ !

N’acceptons donc l’échange-direct, comme la législation directe, que sous bénéfice d’inventaire, c’est-à-dire que comme un instrument de transition, comme un maillon entre le passé et l’avenir. C’est une question à poser, c’est une opération à accomplir ; mais que cette opération soit comme la soudure d’un c[a]ble transprésent dont un bout touche au continent des vieux abus, mais dont l’autre bout se déroule vers un nouveau monde, le monde de la libre harmonie.

La Liberté est la Liberté : soyons-en les prophètes, nous tous qui en sommes les voyants. Le jour où l’on aura compris que l’organisme social ne doit pas être modifié en le surchargeant de complications, mais en le simplifiant ; le jour où il ne s’agira plus de démolir une chose pour la remplacer par son semblable, en la dénommant et en la multipliant, ce jour-là on aura détruit de fond en comble le vieux mécanisme autoritaire et propriétaire et reconnu l’insuffisance et la nuisibilité du contrat individuel comme du contrat social. Alors le gouvernement naturel et l’échange naturel, — le gouvernement naturel, c’est-à-dire le gouvernement de l’individu par l’individu, de soi-même par soi-même, l’individualisme universel, le moi-humain se mouvant librement dans le tout-humanité ; et l’échange naturel, c’est-à-dire l’individu échangeant de soi-même à soi-même, étant tout à la fois producteur et consommateur, co-ouvrier et co-héritier du capital social, la liberté humaine, la liberté infiniment divisible, dans la communauté des biens, dans l’indivisible propriété ; — alors, dis-je, le gouvernement naturel, l’échange naturel, organisme mu par l’attraction et la solidarité s’élèvera majestueux et bienfaisant au sein de l’humanité régénérée. Alors aussi le gouvernement autoritaire et propriétaire, l’échange autoritaire et propriétaire, machination surchargée d’intermédiaires et de signes représentatifs, croulera solitaire et abandonnée dans le cours tari de l’antique arbitraire.

Périssent donc bientôt toutes les institutions babyl[ô]niennes, leurs rouages et leurs engrenages contre nature, et que sur leurs ruines trône à jamais l’universelle et fraternelle solidarisation des intérêts individuels, la société selon la nature !

Hommes du temps présent, il faut choisir. Non-seulement il est immoral et lâche de rester neutre, c’est avilissant, mais encore il y a péril. Il faut absolument prendre parti pour ou contre les deux grands, les deux exclusifs principes qui se disputent le monde. Il y va de votre salut. Ou le progrès ou la rétrogradation ! ou l’autocratie ou l’anarchie ! — A une société radicalement mauvaise, il faut des solutions radicales : aux grands maux les grands remèdes !

Choisissez donc :
 — La propriété, c’est la négation de la liberté.
 — La liberté, c’est la négation de la propriété.
 — Esclavage social et propriété individuelle, c’est ce qu’affirme l’autorité.
 — Liberté individuelle et propriété sociale, telle est l’affirmation de l’anarchie.

Hommes du progrès, martyrisés de l’autorité, affirmons l’anarchie !


 

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