Le Socle de Pasquin Ceci nest pas positivement une réponse. Non. On ne répond à qui brait et veut mordre, à qui bourdonne et veut piquer, on prend sa plume par le manche et lon en fait un éventail à... moustiques. Permis aux écrivains de la presse périodique de dire sur ce que jai publié tout ce quils pensent et même ce quils ne pensent pas. Cest leur métier et jaurais tort de men plaindre. Je préfère leur critique, juste ou injuste, à leur silence. Souvent ainsi la partie littéraire ou politique dun journal devient la page dannonce des idées. Par le temps qui court et au milieu des cohues ignorantes que lon coudoie, les vérités nouvelles gagnent encore autant à être attaquées quà être défendues . Toute publicité les popularise, elle leur sert de réclame. Les réactions préparent les révolutions. ...... Jai toujours dit ce que je pensais ; je lai dit haut et partout, dans les pays où la loi est un poignard comme dans les pays ou le poignard est la loi. Si ma voix na pas eu plus de retentissement, ce nest pas ma faute. (Lettre inédite dun anarchiste à un civilisé) Il mest indifférent que les hommes maccusent de folie, mais je ne veux pas quil puissent me soupçonner didiotisme, desclavage ou de mensonge. (Ernest Coeurderoy) Il est des stupidités si drôlatiques quelles ne peuvent jamais être méchantes, tant soit grande lenvie quelles en aient. Il y aurait mauvaise grâce à sen fâcher tout rouge. A daussi misérables facéties ce nest pas un pilori quon peut élever, mais le socle de Pasquin. Point nest besoin dun courroux superbe ni dun burin pour y répondre ; il suffit dun crayon pour charbonner sur papier carré quelques caustiques lazzis. En effet, le puriste littéraire, lélégant écrivain créole, le bérangerien qui a fait ses études en France, mais qui ny fera jamais école je suppose, école de style tout du moins ; le foudre déloquence et de moralité qui a fulminé contre limpie Libertaire le vertueux anathème que lon sait, ou même que lon ne sait pas, et qui a pour titre Un insulteur public ; ce grand avaleur de serpent, sil est un fou nest pas un fou dangereux, quoique furieux. Toute sa malignité consiste à vous faire rire... Rire de ses contorsions grotesques, rire dun éclat de pitié. En vérité, lon nest pas plus mirobolant, et cest à en faire des gorges-chaudes. Pour le moment, jen ai mal aux côtes, non pas des coups de bâtons que le chevaleresque Louisianais a bravement la charité de me souhaiter, mais de lhilarité qui sest emparée de moi et ma forcé de me tenir le ventre à la lecture de son incomparable verbiage. Ouf ! Que cest donc mauvais de jouer de ces vilains tours là à des gens qui, de loin comme de près, avaient toujours cru quil existât deux, natures dhomme libre, à vous, nature desclave, une incommensurable distance. Voyons, beau blanc si doux, rajustez décemment à votre cou votre chaîne dor, couvrez du manteau troué de lindignation ce que votre conduite peut avoir de difforme, jouez et rejouez votre rôle de bouffon de leurs majestés les planteurs : gagnez vos gages, serviteur des institutions sudesques ; diffamez tout ce qui est droit et juste ; mais, ô placide bravache, malgré vos crâneries, vos hâbleries, vos cravacheries désopilantes, permettez que le pauvre diable de Libertaire respire. Il ne faut pas vouloir la mort de tout ce qui est libre. Qui sait si vous ne le deviendrez pas un jour ? Cest peu probable, direz-vous. Cependant dans ce siècle on nest à labri de rien ; on a vu se réaliser des choses non moins impossibles, absolument comme du temps où les rois épousaient des bergères. Noble et vaillant champion de tout ce qui est respectable et saint, jusque et y compris cette respectable et sainte chose que lon nomme lesclavage. Vous parlez de constater un fait ; eh ! bien, constatons : " Quand M. Déjacque vivait parmi nous cest le Courrier de la Louisiane qui parle , il navait pas assez lénergie de ses opinions pour insulter ceux avec lesquels il se trouvait sans cesse en contact. Il se contentait doutrager, de loin, les célébrités de son pays. Il y aurait eu, alors, danger à se montrer impertinent. Le roquet qui aboie maintenant à la lune se fit donc taupe. Cétait prudent. Aujourdhui, il saguerrit. Il frappe ceux quil saluait très bas autrefois. Nous ne saurions même en nous retroussant les manches descendre dans le cloaque de ce style. Nous ne voulons pas consentir à ce que notre journal soit le réceptacle de semblables obscénités. " Tant de fiel (lire de mauvaise foi) entre-t-il dans lâme des dévots... soutiens de lesclavage ! Saint Tartufe, votre patron, a dû en être touché jusquau fond de sa niche céleste, et il vous conserve assurément une place dans le chur des anges... de la calomnie. Quon se serve du sarcasme et de linvective, quon emploie lironie et limprécation, quon lutte par tous les moyens loyaux, je le comprends et cest de bonne guerre. Mais ce que je ne comprends pas, cest ce concert dhypocrites faussetés dont on cherche à assourdir le public ; cest cette instrumentation perfide, cet emploi du mensonge à laide duquel on essaie de donner le change à lopinion et de dégrader le caractère dun homme dont le cur et la tête nont jamais fléchis. Ce peut être chose habile que cette manière dagir, ce ne sera jamais chose digne. Mais, que vais-je parler de dignité... Il est bien question de cela, vraiment, pour ce bipède à lintelligence canine ; ce qui linquiète, cest la pâtée. Bouledogue édenté et écloppé, il ne saurait vous sauter franchement à la gorge ; il est donc obligé de ruser, de louvoyer, afin de vous prendre en sournois, par derrière et par les jambes : chien à lattache, il na de force que dans sa traîtrise. Quand à M. Déjacque (pour en revenir à la citation), lorsquil vivait en Louisiane, il a toujours su témoigner de lénergie de ses opinions, et cela en public comme en petit comité. Lexcès de prudence na jamais été son défaut. Sil a attaque, de loin, les célébrités du coin de terre où il est né, il na pas pour cela négligé les célébrités créoles, illustrations de ce bourbier peuplé dune fossile engeance, Froids reptiles rêvant des carapaces dor, Triturant le dollar, digérant la sottise. Vous pourriez vous en convaincre au besoin, vous qui écrivez dans une feuille où fut insérée une satire signée de lui contre le concussionnaire Guerland, ses jurés, ses juges et la société qui les produit. Inutile sans doute de vous rappeler cette autre pièce de vers déjà citée, et commençant pas ces mots : La Nouvelle-Orléans ...fange que cette terre ! Il est vrai que pour celle-ci la rédaction du Courrier a craint que la dose ne fut un peu trop forte pour le tempérament de ses lecteurs, jai dû me contenter de la publication dans les Lazaréennes. Pour peu que vous en ignoriez, je pourrais vous apprendre encore que, quelque temps après mon arrivée à la Nouvelle-Orléans, jai assisté, comme ouvrier peintre, à un banquet douverture dun bar rue Gravier, banquet offert par le chef de létablissement, M. Sentini, à tous les travailleurs et patrons qui avaient concouru à la décoration de la salle. Des autorités de la ville y assistaient aussi, des aldermen entre autres, et, si je me le rappelle bien, le maire dalors. Il y eut des toasts de portés ; je portais aussi le mien : A laffranchissement de tous les hommes, NOIRS ou blancs. A la communion libre et égalitaire des producteurs de tous sexes et de toutes races au banquet social. Jignore si quelquun en a ragé intérieurement ; je sais seulement que personne na été assez brave ou assez lâche pour parler de me battre de verges. En 1856, lors des élections de juin, jai, durant plusieurs jours, laissé dans les bureaux du National un article dont chaque ligne était une flétrissure pour votre pays ; javais mis au bas de larticle mon nom et ma demeure, et malgré cela les éditeurs de ce journal, après avoir longtemps hésité, ont reculé devant sa publication. Une autre fois, jai voulu me faire entendre à la deuxième réunion relative à laffaire Girard ; ma voix a été étouffée par les clameurs du chauvinisme ameuté. Jai protesté alors avec véhémence contre cette violence faite à ma liberté, qualifiant lacte de cette assemblée de brutes, et devant cette assemblée de brutes, daussi criminel en principe que lacte par lequel un assassin avait attenté à la vie de Girard ; Jai lu aussi, publiquement, dans les salons dun beer house, rue Royale, ces divers articles ou discours dont javais formé un pamphlet intitulé La Terreur aux Etats-Unis. Je nai pu trouver de souscripteurs pour le faire imprimer. Mais la faute en est au public et non à moi. Si les habitants de la Nouvelle-Orléans tenaient à le connaître, je pourrais linsérer quelque jour dans le Libertaire, à moins que vous ne voulussiez le publier vous-même, ô Canonge-Macaire, ce dont je serais charmé. Quand vous me taxez de lâcheté, vous savez bien que ce nest pas sous ma peau qua jamais logé cette chose. On pourrait croire que vous ne plaidez ici le faux que pour dissimuler ailleurs le vrai. Cest maladroit car, après tout, la Nouvelle-Orléans peut me haïr, mais interrogée sur cette question, elle ne pourrait que répondre que vous en avez menti... La lâcheté, vous pourriez savoir où elle gît si vous descendiez parfois en vous-même. Un jour délection, jen connais qui avaient fait de larmement à grand fla-fla, et qui, sur une simple sommation de leurs ennemis, ont déposé les armes sans combattre. Vous devez en savoir quelque chose, sans doute, grand pourfendeur de Know-Nothing absents, chevalier de la démocratie à esclaves ; car cela se passait dans vos bureaux et vous y étiez, ô chaste et plantureux Don Quichotte de la vertu créole outragée, à moins que vous ne fussiez aller chercher refuge auprès de quelque Dulcinée, dans quelque Toboso ou salon de tolérance. En finira-t-on, enfin, avec toutes ces platitudes déguisées en honnêtetées et qui sen vont piano, pianissimo et crescendo , clabaudant la calomnie, de la Nouvelle-Orléans à New-York et de New-York à la Nouvelle-Orléans ? Tout ce buchanal, cest à dire ce baccanal jésuitique ne serait que ridicule sil navait pour auditeurs que des personnes intelligentes ; mais, au sein dune population marécageuse, ça peut devenir de linfamie. Il y tant de jobards et descobars disposés à accueillir tous les absurdes cancans et à leur faire chorus, que si lon ne châtiait pas parfois lun de ces Baziles en robe courte on finirait un jour par ne plus pouvoir dominer la progression de ce tapage diffamatoire. Cest un parti pris chez toutres ces bourgeoises crapules gentlemen du Sud ou du Nord, traficateurs de chairs blanches ou de chairs noires de ne jamais répondre aux arguments et de ne sattacher, comme des vermines, quà la personnalité : si encore leur venin ne décomposait pas la vérité. Ils savent que leur nombre et leur petitesse les préserve dune destruction complète ; et quon ne peut les toucher sans éprouver des démangeaisons et des haut-le-cur ; et ils usent et abusent de leur infimité pour vous piquer au talon, ralentir votre marche et détourner votre vue des grands sommets de lavenir. Tout ce que jai écrit sur la Nouvelle-Orléans est immensément vrai ; je ne prétends pas et nai jamais prétendu que ce le fut universellement. Ce serait absurde, attendu que jai là-bas des amis, des connaissances que jestime et qui ne sont pas les seules personnes estimables. Mais des exceptions, fussent elles même nombreuses, ninfirmeraient en rien ce que jai avancé La main sur la conscience, ai-je dit, oui ou non, la vérité ? Oui ! Du reste, M. du Courrier, vos lecteurs sont à même den juger, sinon den témoigner, puisque après avoir dit que vous ne vouliez pas souiller vos colonnes de semblables obscénités, vous vous décidez à grand renfort de grosse-caisse à les reproduire. Quel honneur ! Ah ! monsieur le Rédacteur Je suis votre humble serviteur... Il est vrai que cest une manière comme une autre de battre monnaie. Entrez, entrez ! messieurs et dames... Passez au bureau, ça ne coûte quun picayon par personne, et lon paie cash. Entrez, entrez ! Suivez la foule ! Cest le pitre Canonge qui vous y convie. Je le disais bien en commençant : ce petit homme est vraiment trop rigolo, trop polichinellement cocasse pour quon puisse garder son sérieux, même en le houspillant, et je serais presque tenté de labsoudre de ses ignobles grimaces à mon adresse en faveur du Libertaire pour lequel il exécute, avec un si imperturbable sang-froid, culbutes et sauts périlleux. Je clorai là cet article beaucoup trop long pour un si misérable sujet. Je laisserai de côté et le piédestal sur lequel on me fait me jucher, et les prétendues courbettes que lon me fait faire et limmoralité foncière, et le vin cuvé, et lhonneur ou le déshonneur de navoir pas figuré dans les salons et tout ceci et tout cela, et patati et patata : le traitant Louisianais, le négrier-régence a probablement écrit ces choses après souper, entre deux vins ou entre deux sommes, sur la nappe des petites orgies ; il aura cru regarder en dehors et en face, et il aura regardé obliquement et en dedans. Quoi détonnant quil ait écrit de travers ? Je prie mes lecteurs dexcuser cette excursion hors des questions sociales. Je ne pouvais guère laisser passer ce maragouinage sans lui casser les ailes. Je le devais aux amis que jai laissé à la Nouvelle-Orléans, ce pays de la canne à épée et de la canne à sucre, pays de bâtons plombés et de Bâton-Rouge, et où il est légalement et matériellement permis de défendre les institutions plantoriales, mais où il est légalement et matériellement défendu de les attaquer. Cest quelque chose dassez répugnant que de soccuper de semblables piqûres dinsectes : je suis presque honteux davoir perdu mon temps pour si peu de chose. Dorénavant, je tâcherai de menvelopper dans un impénétrable dédain comme dans une ample moustiquaire : je fermerai les yeux et les oreilles et je laisserai bourdonner, sans men émouvoir et sans men apercevoir, toutes ces trompes imperceptibles, toutes ces impuissances irritées. Ainsi donc, paillasse, mon cher, continuez sil vous plaît la série de vos exercices. Houp ! Et allez donc ! Eh boum ! Eh boum ! Eh boum boum boum ! Et que, dans leur créolatique orgueil, vos compatriotes reconnaissants vous décernent une trique et une corde dhonneur, non comme assommoir ou nud coulant, mais en récompense de votre acrobatique rédaction ; une trique pour vous servir de balancier, une corde pour danser dessus et y faire le grand écart. Salutem omnibus... |