La Jacquerie. On lit dans lEtoile-Belge : " Nous avons parlé plusieurs fois des obstacles que rencontrait en Russie lémancipation des serfs. La noblesse est loin dêtre unanime à la favoriser. Dun autre côté, dans certains districts, les paysans sont impatients dobtenir plus quon ne leur promet. Ainsi, daprès la Gazette de Cologne, lEsthonie est en ce moment le théâtre dévénements qui rappellent tout à fait la guerre des paysans du seizième siècle. Incendie des châteaux, massacre des nobles, pillages, etc. Cette insurrection a pris de très grandes dimensions, et lon craint que la Livonie et la Courlande ne deviennent également le théâtre de scènes pareilles, si la force militaire ne parvient pas à comprimer rapidement cette insurrection. Mais jusquici elle ny est pas parvenue. " Les troupes présentes sur les lieux ont été mises en déroute par les paysans, et quatre officiers détat-major sont restés sur la place. Il est vrai que depuis des troupes ont reçu lordre de se rendre en Esthonie, et que même des généraux, qui étaient en congé à létranger, ont été rappelés. Mais il se passera des semaines avant que ce corps darmée soit rendu sur les lieux, et linsurrection aura le temps, non-seulement de sétendre, mais de sorganiser. " A tout cela sajoute que la noblesse, en Russie, nest pas très-satisfaite ; la plus grande partie dentre elle naccepte les nouvelles idées du gouvernement que parce quelle ne peut pas faire autrement. De cette manière, la Russie se trouve subitement occupée à lintérieur, au point de navoir plus son action libre au dehors. " Lexemple est contagieux et pourrait trouver des imitateurs parmi les serfs des gouvernements méridionaux. Il est remarquable que la presse ait gardé jusquici le silence le plus complet sur ces événements. " Il ny a rien détonnant à ce que la presse ait gardé le silence sur ces événements. La presse est presque toute entière autoritaire et conservatrice ; elle ne comprend rien à ce mouvement progressif et anarchiste qui entraîne le vieux monde vers le monde nouveau ; et le comprit-elle quelle naurait garde den parler..... à moins que le besoin dun article se fit vivement sentir. Les événements sont souvent plus forts que sa volonté ; elle sait quelle nuit aux intérêts de la réaction en divulguant ce qui se passe, et cependant elle ne peut moins faire que denregistrer les faits, même en les dénaturant. Il y a nécessité pour elle à parler, cest la condition de son existence, autrement la presse ne serait plus la presse. LEurope est travaillée par lesprit révolutionnaire, elle est dans les crises qui précédent lenfantement, crises sourdes ici, violentes là-bas, et qui pourront être apaisées momentanément par les forces monarchiques, mais qui reparaîtront bientôt plus impérieuses et plus terribles jusquà ce que, de progression en progression et arrivée au terme de son développement clandestin, la Révolution sociale sorte toute armée de lentendement des multitudes, comme la Minerve du cerveau de Jupiter. Serfs ou prolétaires, ilotes des états-désunis dEurope, tous sont les fibres et les nerfs dune même corde dont les douloureuses contradictions et les aspirations généreuses proclament limprescriptible solidarité. Du Nord au Sud et de lEst à lOuest, le cur de lhumanité palpite sous son suaire doppression. Elle va sortir de son accablement, la masse géante. Elle agite alternativement tous ses membres ; elle se tord dans les angoisses partielles, présages des convulsions générales, et en palpitant, en sagitant, en se tordant, elle se révolutionne. Elle est en proie aux fureurs du haut-mal ; mais, dans sa catalepsie, elle vu se rouler sur vous, autocrates et aristocrates, bourgeois et seigneurs, et vous écraser, punaises ! Lunité de propriété et de nationalité, le cosmopolitisme européen : la République une et sociale naîtra de ce continental effort. Courage donc, serfs de Russie, honneur à vous ! Vous brandissez vaillamment la faulx et la torche ; nous, prolétaires de France, nous nosons à lheure présente, que nous ronger les poings. Ah ! vous nous faites honte ! ... A cette heure, vous êtes vraiment des rebelles, nous, nous ne sommes que des esclaves ! Prolétaires, prolétaires, gémirons-nous encore comme des lâches, tandis que dautres, nos frères cadets, tuent et meurent pour la liberté ? Ne sommes-nous plus les fils aînés du progrès ? Sommes-nous moins révolutionnaires que les Cosaques ? O jour de réhabilitation, que tu tardes à venir ! Le monde philosophique est également travaillé par lidée révolutionnaire. Le vieil ordre de choses spirituelles est mis chaque jour en péril. Les soi-disant révélations spiritualistes, la doctrine fusionnienne, les visions du corps éthéréen, comme toutes les élucubrations métaphysiques de nos jours, bien quenveloppées de nuages, mêlées dhallucinations et daberrations, témoignent néanmoins du malaise qui tourmente les intelligences, et de la lumière encore voilée, mais qui tend à dissiper les ténèbres. Proudhon aspire carrément à éliminer Dieu, tout en ne se prononçant pas aussi affirmativement sur lâme. Dautres, tout en proclamant bien haut le sacré nom de luniversel auteur de toutes choses et limmortalité de l'âme, les nient lun et lautre par lanalyse quils font de la nature des atomes et des mondes. En apparence cest pour ces derniers, la glorification de lEsprit Tout-Puissant ; en réalité cest une véritable jacquerie dirigée contre lâme, cette seigneurie de lorganisme humain et quil sagit de faire rentrer dans lordre matériel et de déposséder de ses prétentions spirituelles. Légalité devant la loi naturelle, luniverselle transformation, la vie et la mort à tous les instants et à tous les degrés, la[gg]régation et la désa[gg]régation permanente, la dissolution et la rénovation parcellaire de lêtre physique et moral ; enfin, le circulus anarchique dans luniversalité est au fond de ce mouvement didées qui ne tardera pas à détrôner et à décapiter Dieu, lâme des âmes, cet empereur spirituel à qui tout civilisés rend foi et hommage, linfiniment arbitraire, le Suzerain-Seigneur. O Jour de lucidité, que tu tardes à éclairer toutes les intelligences ! |