Martyrologe. Nous lisons dans une correspondance du Bien-Etre Social : " Mon cher ami, écrit-on du Mont-Saint-Michel, notre situation devient de jour en jour plus pénible. On nous avait donné jusquà présent une livre et demie de pain ; on vient de nous réduire à une livre. Une livre de pain, cest tout à fait insuffisant pour nimporte qui dentre nous, qui navons que cela. Quallons-nous devenir ! Vraiment que veut-on faire de nous ? Celui qui a un peu dargent peut encore espérer vivre ; tous ceux qui nen ont pas peuvent bien dire : adieu ! . . . . . . . " Nous sommes trente dans une grande pièce qui ressemble à une halle, continuellement traversée par les quatre vents : aussi la moitié de nous est continuellement attaquée de rhumes de poitrine qui ne peuvent se guérir. " Une livre de pain ! sécriera peut-être quelque repu, mais je nen mange pas autant en quatre jours. Cest possible, monsieur, et jajoute que malgré cela vous navez pas encore été trop tourmenté par la faim, et que même, par-ci par-là, il vous arrive bien quelque petite indigestion ; mais voici le menu de la prison : Une livre de pain noir ; une gamelle de soupe colorée avec du caramel et quelques grammes dune viande de la pire espèce. Voulez-vous vivre avec cela vingt-quatre heures ! Allons ! vous pousseriez tous les soupirs de votre poitrine ! Eh ! bien, ce nest pas vingt-quatre heures, ce nest pas une semaine, ce nest ni un mois, ni un an, cest dix ans que lon vit ainsi, ou que lon meurt de douleurs continuelles et lentes ! La viande et le potage ne sont pas nourrissants, les malheureux navaient que leur pain, on le leur enlève. Qui osera dire que cest par économie ? Cest dune cruauté assez raffinée, nest-ce pas ? Allons ! républicains conservateurs, royaliste, allons ! le ban et larrière-ban des sociétés libérales, philanthropiques, voici une bonne uvre à accomplir, aussi intéressante que la souscription des femmes suédoises. Ceux qui sont si bien..., trop bien conservé[s], ceux que vous appeliez des héros, lors de la révolution de Février, ceux qui, après vous avoir fait peur, ont été si bons... ont été généreux jusquà la bêtise, ceux-là sont dans des cachots, souffrant[s] des mille tortures morales et physiques, et murmurent le mot le plus épouvantable à entendre : jai faim ! Ecrivez-vous une ligne en leur faveur dans vos journaux ? Naurez-vous pas un anathème pour les maudits qui, tenant des hommes prisonniers, en secret se donnent le plaisir de les torturer par la faim ? Non ! cest triste à lavouer : non ! et ce dernier mot aura dans lavenir un écho funèbre pour vous... Non ! vous naurez ni pitié pour les uns, ni réprobation pour les autres. Entre les bourreaux et vous, ce silence étend la solidarité. Prolétaires ! nous aussi nous sommes solidaires ; cest notre vie qui sétend dans ces cachots ; ces plaintes sont sorties de notre poitrine ; ce sang qui coule, cest le nôtre. Ah ! lon nous fait une guerre dextermination. Nul supplice nest trouvé superflu. Ils font du peuple un fumier humain sur lequel ils font danser leurs chevaux, leurs chiens, leurs soldats, leurs valets ! Mais le sang et le mal enivrent ; mais chaque jour un homme échappe qui relève le gant jeté dans un insolent défi à lhumanité, à la justice ! " Il faut avoir vécu dans des prisons, connaître par expérience ce que cest que dêtre condamné, sans aucune ressource du dehors, à la maigre et nauséabonde ration du détenu, pour comprendre tout ce que peut faire souffrir la faim aggravée de loisiveté de la captivité. Les prisonniers qui ont de largent trouvent encore à tuer le temps par des lectures, à nourrir leur corps par des aliments plus délicats et plus substantiels ; mais ceux qui nont rien, absolument rien que les vivres accordés par les règlements, souvent moins encore, selon le bon plaisir ou la concussion du directeur, oh ! ceux-là, cest pour eux surtout que la torture existe dans toute sa cruauté. Car, en prison comme partout, il y a des riches et des pauvres ; mais pas plus là quailleurs le riche ne fraternise avec le pauvre. Le riche est toujours le riche ! Et quand on pense que depuis Mars 1848, soit dans les forts ou les bagnes, dans les casemates ou les pontons, soit à Saint-Michel ou à Belle-[î]le, en Algérie ou en Guyan[n]e, agonisent des milliers de martyrs, victimes expiatoires de la contre-révolution ; oh ! cest épouvantable ! Honte et malheur à qui, par action ou par omission, aura participé à ces crimes. Honte et malheur à la Civilisation ! Les journaux italiens nous apportent aussi des bruits de chaînes et de fusillades, des listes de condamnation à mort et aux galères, des bulletins dembastillement et dassassinats légaux. La société officielle croit-elle donc par ces suppressions dhommes supprimer les sociétés secrètes ? Elle ne fait que recruter pour ces dernières de nouveaux et nombreux affiliés. Ces impitoyables exécutions sont autant de sanglantes réclames en faveur des clandestines vendetta. Une poitrine trouée fait battre le cur à mille autres. Sa Majesté autrichienne raille dune façon fort impériale : elle trouve que les Italiens ne sont pas encore assez mûrs pour être mis en liberté. Cependant, elle les trouve mûrs assez pour les moissonner à coup de fusils. LItalia del Popolo annonce quelle a subi trente-huit saisies dans le courant du premier semestre de cette année. Il est vrai de dire que le gouvernement sarde est un gouvernement libéral ! |