LA REVOLUTION ET SES VERBES.

 

Malgré de chaleureux efforts individuels, les journaux socialistes ne font, pour ainsi dire, que paraître et disparaître, comme des feux-follets dans l’ombre ; ils meurent avant d’avoir vécu. Pareils à l’enfant des manufactures qui, brisé de fatigues, ne peut vaincre le sommeil qui l’accable, ils ne peuvent triompher de l’apathie qui les environne. Au bout de quelques années d’une existence chétive, on les voit expirer d’inanition sur le seuil de l’imprimeur, comme l’ouvrier sans travail à la porte du boulanger. Dans une société malthusienne comme la nôtre, il est de règle que l’imprimerie ne livre pas plus ses presses que la boulangerie son pain à qui ne peut payer. Pas d’argent, pas de pain ; pas d’argent, pas de presses. L’argent est le passeport qu’il faut exhiber à chaque pas aux agents patentés de l’autorité pour obtenir le droit de circuler librement sur le territoire de la consommation publique. Quiconque n’a pas son porte-monnaie en règle, c’est-à-dire garni de pièces d’or ou de billets de banque, est un suspect, un bon à pendre, que la Bourgeoisie du lieu doit empêcher de passer outre, et reconduire de brigade en brigade jusque sur le trottoir de ses boutiques ; encore ne faut-il pas que le misérable fasse le récalcitrant, s’il veut éviter les galères ou la potence.

Les journaux réactionnaires ou conservateurs de toute nuance sont gras et bien portants ; ils filent de longe jours et font beaucoup d’enfants à leur image. S’ils n’avaient que la colonne des principes de prospérité, ils feraient triste figure ; mais ils tiennent boutique ouverte sur le revers, et c’est là ce qui les mauve. La page d’annonces est le balancier au moyen duquel ils battent monnaie, sans parler des subventions gouvernementales et cléricales.

Les journaux socialistes, eux, n’ont pas la ressource des annonces ; quel est le bourgeois qui voudrait se mettre à ce pilori ! Pour avoir l’indispensable caisse, et en réparer chaque jour l’irréparable détresse, ils n’ont pas le choix, et ne peuvent s’adresser qu’à leurs créditeurs naturels, les classes ouvrières. Mais, comme la fourmi, les classes ouvrières ne sont pas prêteuses ; c’est là leur moindre défaut : on les a prises pour dupes tant de fois ! Cependant, je crois qui y a plus de vice que de vertu dans cette abstention monétaire de leur part, et qu’elles pourraient être moins parcimonieuses envers les publications qui ont pour devise : Le Peuple et son Droit. Refuser le denier du pauvre aux journaux socialistes, les sevrer de tous subsides, c’est leur mettre le bâillon sur la muselière aux dents, c’est les réduire à l’inertie, au silence.

Ainsi ont succombé, dans ces derniers temps, le Bien-Etre social et le Prolétaire, faute de munitions pécuniaires pour continuer la lutte ; ainsi succombent tour à tour tout ce qui dans la carrière de la publicité, tente d’élever la voix en faveur de la révolution sociale universelle.

Que les ennemis de la Sociale-Révolution universelle ne s’en réjouissent pas trop, néanmoins. Que sait-on ? Peut-être est-il nécessaire à la marche du progrès que la nuit se fasse un moment sur l’idée, que son émission reste latente, comme le feu sous la cendre, pour miner sourdement les poutres de la vieille société, les carboniser et faire, ainsi craquer et s’écrouler l’édifice par la base, alors que, las de couver dans l’ombre, éclatera [l’embrâsement] général. C’est à l’heure où les puissances démotiques croient avoir dompté le monstre, que le monstre se réveille dans toute sa fureur. Il est dangereux de se fier à l’eau qui dort. Rien de perfide comme le calme qui précède l’orage. Malheur à qui se croit en sûreté sur un volcan.

La Révolution sociale universelle, comme une sphère planétaire en son cours, présente alternativement, le flanc au soleil, — à l’idée fixe et rapprochée -et aux étoiles, — à l’idée vague et disséminée, mais profonde et sans bornes dans l’immensité. Qu’il fasse jour, selon les points de vue, ou qu’il fasse nuit ; qu’elle se montre dans son mouvement rotatoire, sous une face ou sous une autre, c’est encore et toujours le rayonnement des astres à ses deux antipodes, la gravitation ascensionnelle de son orbe dans l’infini Progrès !


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