Tout chemin mène à Rome.

Les deux latitudes de l’Union américaine sont ravagées par les bandits de la superstition, les organisations religieuses. Le Sud récèle le gros de l’armée des Jésuites catholiques ; c’est là qu’est leur base d’opération. Le Nord est plutôt la proie des Jésuites protestants, bien que les Jésuites catholiques y aient de fortes colonnes d’attaque, de nombreuses redoutes. Les Jésuites protestants, aussi faux que les Jésuites catholiques, ont le désavantage d’avoir un principe faux comme leurs visages, et qui n’est ni la Liberté ni l’Autorité radicales. Ni souverainement divins, ni souverainement humains, mais grimaçant entre les deux, ils doivent faire place aux combattants de l’exclusivisme : le temps est aux solutions absolues.

La ville de Baltimore, situées sur les confins des deux sections rivales de l’Union, est le quartier-général des fils de Loyola. C’est là que piaffent leurs officiers d’ordonnance, leur sombre et belliqueux état-major, et où flotte la robe du Généralissime préposé à la mission, à la conquête de l’Amérique. Profitant du redoublement d’agitation qui s’est manifesté dans les idées à la suite de la tentative de Harper’s Ferry, la Société de Jésus attise le feu entre le Sud et le Nord, elle arme l’un contre l’autre, (ce dont, pour ma part, je ne me plains pas, attendu que c’est du choc que jaillit la lumière). Seulement ce n’est pas pour faire la lumière, mais les ténèbres, qu’elle en agit ainsi. Ame de la Paternité papale, elle veut éteindre la flamme Liberté sous le débordement du flot Autorité. C’est pourquoi elle a stipendié des écrivains et des orateurs pour prêcher l’exagération de l’esclavagie, pourquoi elle seconde de tout son pouvoir les vues des Planteurs, pourquoi elle les encourage aux mesures extrêmes, pourquoi elle provoque, par tous les moyens occultes, et dans toute la fraction méridionale, à des lois de rigueur contre les écrits et les personnes, pourquoi elle pousse à la prohibition des produits du Nord. Son plan est de scinder les Etats-Unis et de placer la Fédération Sud sous le protectorat du héros de Décembre, l’empereur catholique, le proconsul de l’Eglise. De cette manière les canons et les baïonnettes des garnisaires français, ces soldats du Pape, sous prétexte de protéger le Coton et le Sucre, serviraient, entre les mains de la trop célèbre Compagnie, à réduire tous les ci-devant citoyens américains à l’état de sujet romains. Déclarant pieusement et sans miséricorde la guerre à tous les hérétiques de l’esclavage, on ferait régner l’ordre temporel et spirituel dans le Sud, comme on le fit jadis, dans l’autre Amérique, avec le glaive et le plomb des Espagnols, et on tenterait d’envahir le Nord à la force des armes, ne pouvant réussir à l’envahir universellement par la ruse.

Quelle bonne aubaine pour [l’Abolitionisme], si ces braves fouetteurs les Planteurs pouvaient suivre l’avis des Pères fouetteurs les Jésuites : se lier indissolublement avec le Despote des Tuileries, ce nouvel Hérode de Rome. Au moins, à la prochaine insurrection sociale à Paris, on serait sûr que la Révolution se ferait chez eux comme chez nous, et que pas un planteur n’échapperait à la juste punition de ses crimes. “ Tout chemin mène à Rome : ” oui sans doute ; mais ce pourrait bien être pour la Révolution et non pour la Réaction. L’idée du Passé propose, l’idée de l’Avenir dispose.

Allons, Planteurs et Jésuites, bravo ! Sautez l’Atlantique, ce nouveau Rubicon... mais prenez garde de le repasser en déroute et la pique aux reins ! !...

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