Les Idées marchent !Dans un article du précédent numéro, j’ai parlé du progrès des idées ; en voici la preuve mathématique. Au commencement de 1852, l’hiver du Coup-d’Etat, j’ai séjourné quelques semaines à Bruxelles. A cette époque il ne s’y publiait pas, que je sache, un seul journal quelque peu socialiste. Le plus avancé ne dépassait guère la nuance des Ledru-Rollin ou des Mazzini. Aujourd’hui, non seulement il s’y publie des journaux foncièrement socialistes, mais encore les journaux libéraux, même les plus pâles, sont infiniment moins imparfaits que ne l’étaient alors les plus rouges. Le prolétariat y a un chaleureux organe, le Prolétaire, rédigé par des ouvriers socialistes. Le Prolétaire nie Dieu, — la religion, le gouvernement, la famille, la propriété ; il est franchement anarchiste, il affirme le principe Liberté. Le Bien-Etre Social, un autre organe du socialisme, et le plus brillamment rédigé, est rempli d’articles profondément pensés et qui sont autant de négations de l’autorité dans le ciel et sur la terre. Certes, il faut qu’un bien grand progrès des idées se soit accompli dans ce petit pays, si réfractaire aux idées de progrès il n’y a pas huit ans, pour que de pareilles publications aient maintenant leur raison d’être. Et si le progrès est si manifeste en Belgique, comment ne le serait-il pas ailleurs ? Qui peut douter qu’un travail immense ne se soit fait aussi dans les idées en France et qu’il ne fût tout aussi manifeste s’il avait une presse moins bâillonnée pour en témoigner ? J’ai le malheur de ne pas savoir lire d'autre langue que le français, mais il m’est impossible d’admettre que la presse allemande, russe, anglaise, américaine ou autre soit restée en dehors de ce mouvement. Le progrès a pu être plus vif sur un point et moins vif sur un autre, mais il existe assurément partout, car, sa commotion étant électrique, il se communique de proche en proche. La presse française en Amérique compte deux organes socialistes, la Revue de l’Ouest et le Libertaire. La Revue de l’Ouest a pris naissance à St-Louis il y a des années, mais elle n’était certainement pas au début ce qu’elle est aujourd’hui ; elle a progressé. Son rédacteur, M. Cortambert, bien qu’il soit regrettable de le voir errer parfois dans le vide du spiritualisme, sur toutes les autres questions n’en marche pas moins d’un pas ferme avec le mouvement. La Revue de l’Ouest est lue par beaucoup de monde, et ce monde-là, évidemment, a marché comme elle, puisqu’il la soutient. Quant au Libertaire, qui a vu le jour à New-York sur le cadavre du Républicain, du Progrès, de l’Idée, de l’Avenir et côte à côte d’un moribond, on ne lui donnait pas trois numéros à vivre : il en est à son 19° numéro et à la fin de sa seconde année. L’opinion a donc marché aussi à ses côtés puisqu’il a su se tenir debout là où ses pâles devanciers avaient ou ont succombé. Comme ce philosophe devant qui l’on niait le mouvement et qui pour le prouver marcha, à ceux qui nient le mouvement des idées je dis : regardez ; mais regardez donc ! — Les idées marchent ! ! |