Les Mandements et les Avertissements.

    La religion ne se soutient plus qu’à l’aide de l’autorité, comme l’autorité à l’aide de la religion. Celle-ci est la meule qui émeule l’autre ; l’autre, le tranchant qui protège celle-ci.

Nous voici revenus au beau temps de la Guerre Sainte. Du creux de la chaire épiscopale les évêques de France ont prêché la croisade contre les infidèles. Leurs mandements appellent le ban et l’arrière ban des catholiques à la délivrance d’un autre tombeau, non plus à Jérusalem mais à Rome, le tombeau de la décadence chrétienne, le trône cro[û]lant du pouvoir pontifical. L’Univers et l’Ami de la Religion ont été les principaux hérauts de ces nouveaux Pierre-l’Hermite, la voix qui dit amen à ces apôtre bien pensant et bien pansus du Père-Eternel. Quand tous ces verbeux prélats eurent fini leurs speechs et que leur agents de chœur, tous les journaux ultramontains, en eurent terminé la publication, récité tout au long les litanies, le gouvernement de Sa Majesté catholique, le fils forcé de l’Eglise, par la bouche de son ministre de l’intérieur et parlant en personne à l’Univers-Veuillot, fit défense formelle à la presse entière d’avoir à s’en occuper davantage. C’était une manière comme une autre de protéger les mandements des évêques contre l’importune réplique des feuilles voltairiennes et libérales, un ingénieux moyen des les avertir qu’elles eussent à rengainer le glaive de la discussion.

On a voulu voir dans le fait de ces Mandements et de ces Avertissements un conflit entre M. Bonaparte et le clergé, ce qui ne me paraît pas du tout raisonnable. Il n’y a pas de brouille possible aujourd’hui entre les deux, surtout de la part du premier. Villafranca les a rivés l’un à l’autre. Bonaparte appartient au clergé comme le bras appartient au corps. Le corps pourrait tout au plus faire le sacrifice du bras si le bras refusait de fonctionner comme il est exigible qu’il fonctionne ; mais le bras ne saurait se détacher du corps sans périr. Bonaparte est donc l’instrument à l’épaule du clergé ; il n’est pas le ressort qui commande, mais le ressort qui exécute. Cette prétendue scission n’est qu’une comédie ; c’est une feinte pour parer aux difficultés du moment, une manœuvre habile pour dissimuler un coup de Jarnac. Si le clergé avait l’air trop intimement d’accord avec le " Protecteur de l’Italie, " il le rendrait suspect aux libéraux qu’on veut duper, il dessillerait les yeux des moins clairvoyants. Ce serait vendre la mèche avant de l’avoir allumée, s’exposer à faire avorter la seconde expédition de Rome à l’extérieur comme à l’intérieur, compromettre enfin la restauration et l’instauration de l’autorité temporelle et spirituelle de l’héritier des Borgia sur toute la chrétienté.

Maintenant, qu’il n’y ait parmi les jésuites à robe longue ou à robe courte des inimitiés personnelles, des antipathies de caractères, une jalouse rage qui les porte parfois à s’égratigner individuellement, c’est ce dont témoignent les Montalembert et les Edmont About ; mais ils n’en sont pas moins, tous et toujours, clandestinement si ce n’est ouvertement, les zélés défenseurs les uns des autres par esprit de conservation mutuelle et pour le salut de l’Ordre.

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