L'ASSOCIATION INTERNATIONALE
Au Rédacteur du journal LE LIBERTAIRE.

Citoyen,

Comme vous avez pu le voir en recevant les correspondances de "l’Association internationale", la Société n’a pas dévié dans le développement de ses idées. En publiant son Manifeste, elle a eu pour but d’exposer et porter à la connaissance de tous ceux qui s’occupent des questions de l’avenir, comment le prolétariat entend la révolution.

Affirmant à la fois ses droits et niant "l’Autorité," l’Association devait commencer par se révolutionner elle-même, ou elle tombait en contradiction avec les principes qu’elle doit proclamer. — Il fallait réédifier l’œuvre manquée, incomprise par ceux qui fondèrent "l’Association internationale" ; il fallait la rendre à elle-même, et non en faire le profit de quelques-uns en leur servant de marche-pied ; en un mot, elle devait s’appartenir et non déléguer son pouvoir et sa volonté.

Sans s’arrêter un instant sur les conséquences présentes que pouvait faire naître le renversement de son comité, elle n’eut en vue que de sauver le grand principe de la révolution.

En conséquence, la proposition d’abolir le comité fut faite conformément au règlement d’alors, qui faisait la loi dans la Société. Après plusieurs discussions, en séances publiques, le comité fut aboli à jamais dans la séance du 4 janvier 1859.

Ce fait important accompli, là ne devait pas se borner la révolution dans la Société : Détruire ce qui était mauvais était bien, mais il fallait aussi donner un démenti à ceux qui déjà nous calomniaient, en disant que notre but était d’arriver par le désordre à détruire la Société.

En nous débarrassant de la vieille routine, nous devions évidemment perdre une partie des membres qui composaient la Société (la partie la plus crétine), mais du moins nous devions compter parmi nous ceux qui avaient voté ces mesures énergiques. — Il n’en fut rien. Un certain nombre de ces prolétaires qui avaient courageusement brisé le sceptre de l’autorité, tremblèrent de leur audace et désertèrent sans bruit la cause qu’ils avaient défendue jusque là. — Nous vîmes donc notre nombre décroître à chaque séance ; et aujourd’hui, il ne reste que ceux qui, entrés d’un pas ferme dans le rude chemin de la vérité, sont décidés à combattre les privilèges de la vieille société, sans s’arrêter devant aucune idole.

Nous sommes peu nombreux, mais que nous importe. La ferme conviction que nous avons dans la vérité de nos principes fait notre force ; cependant, ceux qui nous ont abandonnés ne pensent pas ainsi ; ils prétendent que la Société marche à sa perte parce qu’elle renie tous les préjugés ; aussi, désirant replâtrer ce que nous avons détruit, ils font appel aujourd’hui à ceux qui regrettent leurs crimes et qui veulent encore être conduits en laisse.

Un journal allemand, publié à Londres, et portant le nom de "Die Ne[w]e Zeit," a déjà battu la grosse caisse à l’effet de convoquer les "conservateurs" à un meeting qui a eut lieu le 15 mars, et dans lequel il fut remis au citoyen Young, une lettre qui nous a été communiquée et ainsi conçue :

"Le citoyen Young est autorisé par un meeting des anciens membres de "l’Association Internationale," à inviter les membres à un meeting général, qui aura lieu le 21 mars, à huit heures du soir, dans la salle de Brown lear, 65, Broad street.

"Londres, le 15 mars 1859

"La commission :

Gustave Bonnin, John Krinski, Louis Oborski,
J.-T. Clarke, E. Bauer."


Pour éclairer ceux qui s’intéressent à la cause que nous défendons, nous devons mentionner que, après avoir dissous le comité, l’association trouvant que c’était gênant pour la plupart de ses membres, presque tous ouvriers, de se réunir dans la semaine, décida à l’unanimité que les séances auraient lieu le dimanche. La demande en fut faite au propriétaire de la salle, qui nous l’accorda immédiatement ; cependant, quand nous nous présentâmes le dimanche suivant, la salle nous fut refusée. Force nous fut donc d’en chercher une ailleurs, où nous sommes installés depuis cette époque.

L’appel dont nous avons parlé plus haut est fait par ceux qui ont donné leur démission à la suite du renversement du comité et de la publication du Manifeste. Ces messieurs, pour mieux donner le change aux citoyens qui pourraient répondre à cet appel, n’ont trouvé rien de mieux que de prendre l’ancien local pour lieu de réunion . Nous pourrions donner le nom de ceux qui ont déserté, mais nous le croyons inutile ; cependant, nous tenons à publier un exposé des motifs qui émane, non d’une individualité, mais d’une nationalité tout entière : c’est une lettre adressée à l’assemblée générale de "l’Association Internationale", signée par les membres du comité de la "Commune révolutionnaire polonaise", et revêtue du "grand sceau" aux armes de la Pologne.

Nous regrettons de ne pouvoir donner cette lettre dans son entier (elle contient la matière d’un journal) mais vous pourrez juger, par le dernier passage, des idées et du style qui règnent dans cette pièce. — C’est admirable !

"Comme on a résolu d’ouvrir les portes au "premier passant", désormais pas de secret, pas de politique. Dès lors, nous nous sommes vus forcés d’accomplir autrement nos devoirs envers "l’humanité et la Pologne." En outre, ne connaissant pas les motifs secrets de quelques individus qui ont "visiblement" pour but "la destruction de la société," ne voulant pas prendre sur nous des intrigues de ces individus, nous Polonais, nous vous déclarons par la présente que nous n’appartenons plus à la Société Internationale de Londres telle qu’elle existe, et nous défendons à quiconque de prendre autorité de notre nom.

        "Fait en la séance de notre comité.
        "Londres, High Holborn, 178, ce 11 janvier 1859.
              "Par ordre de notre comité :
                  "Le président à tour de rôle,
                       "ZENO SWIETOSLAWSKI.
               "Le secrétaire.
                                  "BAROSKIEWITCH."

Non, Polonais, non ! soyez en paix ! nous n’avons pas plus l’intention de nous servir de votre nom que de nous servir de celui "d’autres Polonais" qui n’ont pas vu le jour sur les bords de la Vistule. Nous nous en garderons bien. — soyez-en convaincus.

On ne répond pas à des allégations de la nature de celles renfermées dans la Lettre des Polonais. — On poursuit sa route. — C’est ce que nous avons fait.

Depuis que la Société est débarrassée des entraves qui s’opposaient au développement de ses principes, nous avons fait de la besogne. — C’est notre travail que nous vous adressons. — Il est court et bref, mais sans ambiguïté aucune ; il ne contredit pas à la seconde ligne ce qu’il affirme à la première, comme dans la plupart des programmes émanant de sociétés soi-disant démocratiques.

Association Internationale. — Déclaration de principes.

1°. Considérant que les anciens statuts de la Société ne sont pas en rapport avec les principes que la Société représente, elle adopte le règlement suivant :

2°. La Société admet tous les citoyens et les citoyennes qui adhèrent aux présents statuts.

3°. Le but de la Société est de propager les principes de la révolution sociale, d’y travailler activement par tous les moyens en son pouvoir, et d’arriver ainsi à établir la République Démocratique Sociale Universelle.

4°. La Société comprend ainsi les principes de la révolution sociale :

Négation absolue de tous les privilèges ; négation absolue de toute autorité ; affranchissement du prolétariat. Le gouvernement social ne peut et ne doit être qu’une administration nommée par le peuple, soumise à son contrôle et toujours révocable par lui, quand il le juge convenable.

5°. Nul ne pourra être admis comme membre de la Société à moins de reconnaître ces principes fondamentaux et de s’engager à les exécuter.

6°. Les demandes d’admission doivent être adressées par écrit ; elles devront indiquer les noms, prénoms et domicile du candidat. Ces demandes d’admission seront lues à haute voix, dans la première réunion générale ; elles devront être appuyées par un membre au moins ; ensuite, l’assemblée votera sur cette demande. L’admission n’a lieu qu’à la majorité absolue des voix ; ceci obtenu, le candidat est admis membre de la Société.

7°. Un secrétariat central, composé de trois membres, toujours révocable, est élu au scrutin secret ; il est chargé de tenir les écritures et de rédiger les procès-verbaux.

8°. Un trésorier est élu également par le même moyen. Il est chargé de recevoir les cotisations.

9°. Pour couvrir les frais de Société, et au besoin, soit pour publication ou faire de la propagande, une souscription volontaire a lieu à la fin de chaque séance.

10°. et dernier. Tout citoyen ou citoyenne étant éloigné du siège de la Société, et qui désire correspondre avec elle et s’y faire adjoindre, peut adresser ses lettres au Secrétariat, 12, Gray’s Inn lane, Holborn.

Voilà, citoyen, le travail fait par cette Société dont l’existence est mise en doute par quelques citoyens induits en erreur par ceux qui nous accusent d’avoir amené le désordre et travaillé à sa désorganisation. Ce sont précisément ces mêmes hommes qui, furieux de ce que nous ne voulions pas abandonner notre droit d’initiative et que nous voulions pratiquer la liberté, en ne servant pas leurs projets, qui ont été les vrais, les seuls désorganisateurs.

En nous adressant à vous pour la publication de cette Lettre, notre but était celui-ci : Prévoyant que la nouvelle Société, qui a pris le même titre que nous, va s’en servir pour propager les doctrines surannées des "Polonais," nous voulons avertir nos frères, les prolétaires, et les mettre en garde contre les projets d’hommes, dont les principes, s’ils triomphaient, seraient mortels pour la révolution future.

Pour "l’Association Internationale Centrale."

    Le secrétariat :

F. Girard, J. Mackay, N. Ulrick.

Londres, 27 mars 1859.


 

[article à imprimer]


 
[article précédent]  [article suivant]  [sommaire du n°13]  [accueil]