Quelle certitude ai-je acquise ? Quelle conclusion puis-je tirer ? ........................................................ La certitude que jai acquise, cest quil ny a quun seul droit au monde : cest le droit du plus fort. ........................................................ Ainsi, plus de doute, plus de vague, plus déquivoque : la force, cest le droit ; il ny a pas dautre droit que la force, car ce droit est le seul qui soit inviolable, le seul qui porte en lui-même sa garantie nécessaire et sa sanction efficace. Si cette conclusion est vraie, "transformer la force" est lunique objet que doit se proposer lhomme aspirant à séloigner de plus en plus de létat de barbarie.......... Mais comment la transformer ? En sappliquant sans relâche et sans exception à ôter en tout et partout à la force matérielle tout ce quil sera possible de lui retirer, pour lajouter en tout et partout à la force immatérielle. Jappelle "force matérielle" : toute puissance corporelle, toute puissance numérique. Jappelle "force immatérielle" : toute puissance intellectuelle, toute puissance scientifique. Jappelle "force matérielle" : toute loi factice, toute loi à laccomplissement de laquelle lévidence de sa nécessité ne suffit pas. Jappelle "force immatérielle" : toute loi naturelle, toute loi à laccomplissement de laquelle lévidence de sa nécessité suffit. Jappelle "force matérielle" : la force par laquelle lhomme est semblable à lanimal. Jappelle "force immatérielle" : la force par laquelle lhomme est supérieure à tous les autres êtres animés. ........................................................ Guerres, conquêtes, autorité, quêtes-vous ? Vous êtes le droit du plus fort matériellement, nationalement. Sciences, découvertes, liberté, quêtes-vous ? Vous êtes le droit du plus fort intellectuellement, individuellement. ........................................................ Telle est ma conclusion, et par elle jarrive à rendre la pensée humaine non moins inviolable que la vie humaine. Un homme na pas plus le droit dempêcher un autre homme de penser, celui-ci fût-il intellectuellement infirme et difforme, quil na le droit dempêcher un autre homme de vivre, celui-ci fût-il corporellement difforme et infirme. La société na pas plus de droit contre le mal pensant quelle nen a contre le mal portant. Mais comment guérir le mal pensant ? En ne faisant pas ce que fait lallopathie, en faisant ce que fait lhoméopathie, en procédant par les semblables et non par les contraires ; en nopposant pas la force matérielle à la force intellectuelle, mais en opposant la force intellectuelle à la force intellectuelle. Ou le Droit nest rien, ou le Droit est linviolabilité humaine : intellectuellement et corporellement. Lorsquon remonte des lois au droit, comme on remonte de lembouchure dun fleuve à sa source, on reconnaît que le droit ne saurait exister à demi. Quest ce que le droit assurant à lhomme la propriété de son corps et nassurant pas la propriété de son esprit ? Est-ce que lhomme vaut par son corps plus que par son esprit ? Est-ce que son esprit est moins sacré que son corps ? Le droit qui met à la valeur corporelle de lhomme un prix si haut et à sa valeur intellectuelle un prix si bas, est un droit qui ressemble beaucoup à un corps humain doù lesprit est absent : cest un droit idiot. Et cest ce droit-là quon vante ! et cest ce droit-là devant lequel on voudrait que je fléchisse le genou avec respect ! que jinclinasse le front avec superstition ! Non. Ce droit-là, cest encore la barbarie. Où la barbarie na pas discontinué de régner, lhomme na pas plus la propriété de son corps quil na la propriété de son esprit ; .............. cest cette entière propriété de soi-même qui constitue le seul Droit quil soit possible à ma raison de reconnaître distinctement, le droit individuel du plus fort "intellectuellement, scientifiquement, industriellement, ............" succédant partout au droit collectif du plus fort "matériellement, numériquement, légalement, territorialement," le seul Droit, enfin, qui ne soit pas un vain mot. Nous ne sommes plus au temps fabuleux de Saturne, où le père dévorait ses enfants ; ni au temps judaïque dHérode, où Légion massacrait toute une génération de frêles innocents ; ce qui, après tout, na pas empêcher Jésus déchapper au massacre et Jupiter à la dévoration. Nous vivons une époque où lon ne tue plus guère les enfants par le glaive ou la dent, et où il para[î]t assez naturel que les jeunes enterrent les vieux. Enterrons donc tout ce qui a fait son temps. Hercule est mort. Pourquoi chercher à le ressusciter ? on ne pourrait, tout au plus, que le galvaniser. La massue est moins forte que le salpêtre, le salpêtre est moins fort que la pile électrique, et la pile électrique est moins forte que lIdée : A toute idée présente et à venir, salut ! LAutorité a régné si longtemps sur les hommes, elle a tellement pris possession de lHumanité, quelle a laissé partout garnison dans son esprit. Aujourdhui encore, il est difficile, autrement quen idée, de la saper de fond en comble. Chacun des civilisés est pour elle une forteresse qui, sous la garde des préjugés, se dresse en ennemie sur le passage de la Liberté, cette envahissante amazone. Ainsi tels qui se croient révolutionnaires et ne jurent que par le Liberté, proclament néanmoins la nécessité de la Dictature ; comme si la dictature nexcluait pas la liberté, et la liberté la dictature. Que de grands enfants, à vrai dire, parmi les révolutionnaires, et de grands enfants qui tiennent à leur dada ; à qui il faut la république démocratique et sociale, sans doute, mais avec un empereur ou un dictateur, ce qui est tout un, pour la gouverner ; gens montés à califourchon, et la face tourné[e] vers la croupe, sur leur carcasse dâne, et qui, les yeux fixés sur la perspective du Progrès, sen éloignent dautant plus quils font plus de chemin pour sen rapprocher, les pieds dans cette position galopant du côté opposé au devant de la tête. Ces révolutionnaires-là, politiqueurs au cou pelé, ont conservé avec lempreinte du collier la tache morale de la servitude, le torticoli[s] du despotisme. Hélas ! ils ne sont que trop nombreux parmi nous. Ils se disent républicains, démocrates et socialistes, et ils nont de penchants, et ils nont damour que pour lautorité au bras de fer : plus monarchistes en réalité que les monarchiens, qui à côté deux pourraient presque passer pour des an-archistes. La Dictature, quelle soit un hydre à cent têtes ou à cent queues, quelles soit autocratique ou démagogique, ne peut assurément rien pour la liberté : elle ne peut que perpétuer lesclavage, au moral comme au physique. Ce nest pas en enrégimentant un peuple dilotes sous un joug de fer, puisque fer il y a, en lemprisonnant dans un uniforme de volontés proconsulaires quil peut en résulter des hommes intelligents et libres. Tout ce qui nest pas la liberté est contre la liberté. La liberté nest pas chose qui puisse soctroyer. Il nappartient pas au bon plaisir de quel personnage ou comité de salut public que ce soit de la décréter, den faire largesses. La dictature peut couper des têtes dhommes, elle ne saurait les faire croître et multiplier ; elle peut transformer les intelligences en cadavres, elle ne saurait transformer les cadavres en intelligences ; elle peut faire ramper et grouiller sous sa botte de verges les esclaves, comme des vers ou des chenilles, les aplatir sous son pas pesant, mais seule la Liberté peut leur donner des ailes. Ce nest que par le travail libre, le travail intellectuel et moral que notre génération, civilisation ou chrysalide, se métamorphosera en vif et brillant papillon, revêtira le type humain et prendra son essor dans lHarmonie. Bien des gens, je le sais, parlent de la liberté sans la comprendre, ils nen ont ni la science ni même le sentiment. Ils ne voient jamais dans la démolition de lAutorité régnante quune substitution de nom ou de personnes ; ils nimaginent pas quun société puisse fonctionner sans maîtres ni valets, sans chefs ni soldats ; ils sont pareils en cela à ces réacteurs qui disent : "Il y a toujours eu des riches et des pauvres, il y en aura toujours. Que deviendrait le pauvre sans le riche ? il mourrait de faim !" Les démagogues ne disent pas tout à fait cela, mais ils disent : "Il y a toujours eu des gouvernants et des gouvernés, il y en aura toujours. Que deviendrait le peuple sans gouvernement ? Il croupirait dans lesclavage !" Tous ces antiquaires-là, les rouges et les blancs, sont un peu compères et compagnons ; lanarchie, le libertarisme bouleverse leur misérable entendement, entendement encombré de préjugés ignares, de niaises vanités, de crétinisme. Plagiaires du passé, les révolutionnaires rétrospectifs et rétroactifs, les dictaturistes, les inféodés à la force brutale, tous ces autoritaires cramoisis qui réclament un pouvoir sauveur, croasseront toute leur vie sans trouver ce quils désirent. Semblables aux grenouilles qui demandent un roi, on les voit et on les verra toujours changer leur Soliveau pour une Grue, le gouvernement de Juillet pour un gouvernement de Février, les massacreurs de Rouen pour les massacreurs de Juin, Cavaignac pour Bonaparte, et demain, sil se peut Bonaparte par Blanqui... Sils crient un jour : "A bas la garde municipale !" cest pour crier linstant daprès : "Vive la garde mobile !" Ou bien ils troquent la garde mobile contre la garde impériale comme ils troqueraient la garde impériale contre les bataillons révolutionnaires. Sujets ils étaient, sujets ils sont, sujets ils seront. Ils ne savent ni ce quils veulent ni ce quils font. Ils se plaignent la veille de navoir pas lhomme de leur choix, ils se plaignent le lendemain de lavoir trop. Enfin, à tout moment et à tout propos, ils invoquent lAutorité “ au long bec emmanché dun long cou, ” et ils trouvent surprenant quelle les croque, quelle les tue ! Qui se dit révolutionnaire et parle de dictature nest quune dupe ou un fripon, un imbécile ou un traître : imbécile et dupe sil la préconise comme lauxiliaire de la Révolution sociale, comme un mode de transition du passé au futur, car cest toujours conjuguer lAutorité à lindicatif présent ; fripon et traître sil ne lenvisage que comme un moyen de prendre place au budget et de jouer au mandataire sur tou[s] les modes et dans tous les temps. Combien de nains, certes, qui ne demanderaient pas mieux que davoir des échasses officielles, un titre, des appointements, une représentation quelconque pour se tirer de la fondrière où patauge le commun des mortels et se donner des airs de géants. Le commun des mortels sera-t-il toujours assez sot pour fournir un piédestal à ces pygmées ? Faudra-t-il toujours sentendre dire : “ Mais vous parlez de supprimer les élus du suffrage universel, de jeter par les fenêtres la représentation nationale et démocratique, que mettrez-vous à sa place ? car enfin, il faut bien quelque chose, il faut bien que quelquun commande : un comité de salut public, alors ? Vous ne voulez plus dun empereur, dun tyran, cela se comprend, mais qui le remplacera : un dictateur ?... car tout le monde ne peut pas se conduire, et il en faut bien un qui se dévoue à gouverner les autres... ” Eh ! messieurs ou citoyens, à quoi bon le supprimer si cest pour le remplacer ? ce quil faut cest détruire le Mal et non le déplacer. Que mimporte à moi quil porte tel nom ou tel autre, quil soit ici ou là, si, sous ce masque et sous cette allure, il est encore et toujours en travers de mon chemin. On supprime un ennemi, on ne le remplace pas. La dictature, la magistrature souverain, la monarchie, pour bien dire, car reconnaître que lAutorité qui est le mal peut faire le bien nest-ce pas se déclarer monarchiste, sanctionner le despotisme, apostasier la Révolution ? si on leur demande, à ces partisans absolus de la force brutale, à ces prôneurs de lautorité démagogique et obligatoire, comment ils lexerceront, de quelle manière ils organiseront ce Pouvoir fort : les uns vous répondent, comme feu Marat, quils veulent un dictateur avec les boulets aux pieds et condamné par le peuple à travailler pour le peuple. Dabord distinguons : ou ce dictateur agira par la volonté du peuple, et alors il ne sera pas réellement dictateur, ce ne sera quun cinquième roue à un carrosse, ou bien il sera réellement dictateur, il aura en main guides et fouet, et il nagira que daprès son bon plaisir, cest-à-dire au profit exclusif de sa divine personne. Agir au nom du peuple cest agir au nom de tout le monde, nest-ce pas ? Et tout le monde nest pas scientifiquement, harmoniquement, intelligemment révolutionnaire. Mais jadmets, pour me conformer à la penséees blanquiste par exemple, cette queue du carbonarisme, cette franc-maçonnerie ba-bé-bi-bouviste, ces invisibles dune nouvelle espèce, cette sociétés dintelligences... secrètes, quil y a peuple et peuple, le peuple des frères initiés, les disciples du grand Architecte populaire, et le peuple ou tourbe des profanes. Ces affiliés, ces conspirateurs émérites sentendront-ils toujours entre eux ? seront-ils toujours daccord sur toutes les questions et dans toutes leurs sections ? Quun décret soit lancé sur la propriété ou sur la famille ou sur quoi que ce soit, les uns le trouveront trop radical, les autres pas assez. Mille poignards, pour lors, se lèveront mille fois par jour contre le forçat dictatorial. Il naurait pas deux minutes à vivre, celui qui accepterait un pareil rôle. Mais il ne lacceptera pas sérieusement, il aura sa coterie, tous les hommes de curée qui se serreront autour de lui, et lui feront un bataillon sacré de valets pour avoir les restes de son autorité, les miettes du Pouvoir. Alors il pourra peut-être bien ordonner au nom du peuple, je ne dis pas le contraire, mais à coup sûr, contre le peuple. Il fera fusiller ou déporter tout ce qui aura des velléités libertaires. Comme Charlemagne ou je ne sais plus quel roi, qui mesurait les hommes à la hauteur de son épée, il fera décapiter toutes les intelligences qui dépasseront son niveau, il proscrira tous les progrès qui tendront plus loin que lui. Il fera comme tous les hommes de salut public, comme les politiques de 93, émules des jésuites de lInquisition, il propagera labêtissement général, il anéantira linitiative particulière, il fera la nuit sur le jour naissant, les ténèbres sur lidée sociale, il nous replongera, mort ou vif, dans le charnier de la Civilisation, il fera du peuple, au lieu dune autonomie intellectuelle et morale, une automatie de chair et dos, un corps de brutes. Car, pour un dictateur politique comme pour un directeur jésuite, ce quil y a de meilleur dans lhomme, ce quil y a de bon, cest le cadavre !... Dautres dans leur rêve de dictature, diffèrent quelque peu de ceux-ci, en ce sens quils ne veulent pas de la dictature dun seul, dun Samson uni-tête, mais à mille ou à cent mâchoires de baudet, de la dictature des petites merveilles du Prolétariat, réputées par elles intelligentes parce quelles ont débité un jour ou lautre quelques banalités en prose ou en vers, quelles ont barbouillé leurs noms sur les listes du scrutin ou sur les registres de quelques petite chapelle politico-révolutionnaire ; la dictature enfin des têtes et des bras à poils pour faire concurrence aux Ratapoils, et avec mission, comme de juste, dexterminer les aristocrates ou les philistins ? Ils pensent comme les premiers, que le mal nest pas tant dans les institutions liberticides que dans le choix des hommes tyranniques. Egalitaires de nom ils sont pour les castes en principe. Et en mettant au pouvoir les ouvriers à la place des bourgeois ils ne doutent pas que tout soit pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Mettre les ouvriers au Pouvoir ! En vérité il faut ne plus se souvenir. Navons-nous pas eu Albert au gouvernement provisoire ? Est-il possible de rien voir de plus crétin ? Qua-t-il été, sinon un plastron ? A lassemblée constituante ou législative nous avons eu les délégués lyonnais ; sil fallait juger des représentés par les représentants, ce serait un triste échantillon de lintelligence des ouvriers de Lyon. Paris nous a gratifié de Nadaud, nature épaisse, intelligence de portier, qui rêvait la transformation de sa truelle en sceptre présidentiel, limbécile ! Puis aussi Corbon, le révérend de lAtelier, et peut-être bien le moins jésuite, sar lui, du moins, na pas tardé à jeter le masque et à prendre place au milieu et côte à côte des réacteurs. Tels sur les marches du trône les courtisans sont plus royalistes que le roi, tels sur les degrés de lautorité officielle ou légale les ouvriers républicains sont plus bourgeois que les bourgeois. Et cela se comprend : lesclave affranchi et devenu maître exagère toujours les vices du planteur qui la éduqué. Il est dautant plus disposé à abuser du commandement quil a été enclin ou forcé à plus de soumission et à plus de bassesse envers ses commandeurs. Un comité dictatorial composé douvriers est certainement ce que lon pourrait trouver de plus gonflé de suffisance et de nullité et, par conséquent, de plus anti-révolutionnaire. Si lon veut prendre au sérieux le mot de salut public, cest dabord et en tout occasion dévincer les ouvriers de toute autorité gouvernementale et ensuite et toujours dévincer le plus possible de la société lautorité gouvernementale elle-même. (Mieux vaut au Pouvoir des ennemis suspects que des amis douteux.) Lautorité officielle ou légale, de quelque nom quon la décore est toujours mensongère et malfaisante. Il ny a de vrai et de bienfaisant que lautorité naturelle ou anarchique. Qui fut autorité en fait et en droit, en 48 ? Est-ce le gouvernement provisoire, la commission exécutive, Cavaignac ou Bonaparte ? Ni lun ni lautre. Car, sils avaient en main la force brutale, ils nétaient eux-mêmes que des instruments, les rouages engrenés de la réaction ; ils nétaient donc pas des moteurs, mais des machines. Toutes les autorité gouvernementales, même les plus autocratiques, ne sont que cela. Elles fonctionnent par la volonté dune faction et au service de cette faction, sauf les accidents dintriques, les explosions dambition comprimée. La véritable autorité en 48, lautorité de salut universel ne fut donc pas dans le gouvernement, mais, comme toujours, en dehors du gouvernement, dans linitiative individuelle : Proudhon fut son plus éminent représentant (je parle dans le peuple et non dans la Chambre). Cest en lui que se personnifia lagitation révolutionnaire des masse. Et pour cette représentation-là, il nest besoin ni de titre ni de mandat légalisés. Son seul titre, il lui venait de son travail, cétait sa science, son génie. Son mandat, il ne le tenait pas des autres, des suffrages arbitraires de la force brute, mais de lui seul, de la conscience et de la spontanéité de sa force intellectuelle. Autorité naturelle et anarchique il eut toute la part dinfluence à laquelle il pouvait prétendre. Et [cette] [cest] une autorité qui na que faire de prétoriens, car elle est la dictature de lIntelligence : elle échauffe et elle vivifie. Sa mission nest pas de garrotter ni de raccourcir les hommes, mais de les grandir de toute la hauteur de la tête, mais de les développer de toute la force dexpansion de leur nature mentale. Elle ne produit pas, comme lautre, des esclaves au nom de la liberté publique, elle détruit lesclavage au nom de lautorité privée. Elle ne simpose pas à la plèbe en se crénelant dans un palais, en se cuirassant de mailles de fer, en chevauchant parmi ses archers, comme les barons féodaux ; elle saffirme dans le peuple, comme saffirment des astres dans le firmament, en rayonnant sur ses satellites ! ! Quelle puissance plus grande aurait eu Proudhon étant gouvernant ? Non seulement il nen aurait pas eu davantage, mais il en aurait eu beaucoup moins, en supposant même quil eût pu conserver au Pouvoir ses passions révolutionnaires. Sa puissance lui venant du cerveau, tout ce qui aurait été de nature à porter entrave au travail de son cerveau aurait été une attaque à sa puissance. Sil eut été un dictateur botté et éperonné, armé de pied en cap, investi de lécharpe et de la cocarde suzeraines, il eut perdu à politiquer avec son entourage tout le temps quil a employé à socialiser les masses. Il aurait fait de la réaction au lei de faire de la révolution. Voyez plutôt le châtelain du Luxembourg, Louis Blanc, le mieux intentionné peut-être de tout le gouvernement provisoire, et cependant le plus perfide, celui qui a livrés les ouvriers sermonnés aux bourgeois armés ; qui a fait comme font tous les prédicateurs en soutane ou à rubans autoritaires, qui a prêché la charité chrétienne aux pauvres afin de sauver le Riche. Les titres, les mandats gouvernementaux ne sont bons que pour les nullités qui, trop lâches pour être quelque chose par elles-mêmes, veulent paraître. Ils nont de raison dêtre que pour la raison de ces avortons. Lhomme fort, lhomme dintelligence, lhomme qui est tout par le travail et rien par lintrigue, lhomme qui est le fils de ses œuvres et non le fils de son père, de son oncle ou de nimporte quel patron, na rien à démêler avec ces attributions carnavalesques ; il les méprise et il les hait comme un travestissement qui souillerait sa dignité, comme quelque chose dobscène et dinfamant. Lhomme faible, lhomme ignorant, mais qui a le sentiment de lHumanité, doit les redouter aussi ; il ne lui faut pour cela quun peu de bon sens. Car si toute arlequinade est ridicule, de plus elle est odieuse, cest quand elle porte latte ! Tout gouvernement dictatorial, quil soit entendu au singulier ou au pluriel, tout Pouvoir démagogique ne pourrait que retarder lavènement de la Révolution sociale en substituant son initiative, quelle quelle fût, sa raison omnipotente, sa volonté civique et forcée à linitiative anarchique, à la volonté raisonnée, à lautonomie de chacun ? La révolution sociale ne peut se faire que par lorgane de tous individuellement ; autrement elle nest pas la révolution sociale. Ce quil faut donc, ce vers quoi il faut tendre, cest placer tout le monde et chacun dans la possibilité, cest-à-dire dans la nécessité dagir, afin que le mouvement, se communiquant de lun à lautre, donne et reçoive limpulsion du progrès et en décuple et en centuple ainsi la force. Ce quil faut enfin, cest autant de dictateurs quil y a dêtres pensants, hommes ou femmes, dans la société, afin de lagiter[,] de linsurger, de la tirer de son inertie ; et non un Loyola à bonnet rouge, un général politique pour discipliner, cest-à-dire immobiliser les uns et les autres, se poser sur leur poitrine, sur leur cœur, comme un cauchemar, afin den étouffer les pulsations ; et sur leur front, sur leur cerveau, comme une instruction obligatoire ou catéchismale, afin den torturer lentendement. Lautorité gouvernementale, la dictature, quelle sappelle empire ou république, trône ou fauteuil, sauveur de lordre ou comité de salut public ; quelle existe aujourdhui sous le nom de Bonaparte ou demain sous le nom de Blanqui ; quelle sorte de Ham ou de Belle-Ile ; quelle ait dans ses insignes un aigle ou un lion empaillé... la dictature nest que le viol de la liberté par la virilité corrompue, par les syphilitiques ; cest le mal césarien inoculé avec des semences de reproduction dans les organes intellectuels de la génération populaire. Ce nest pas un baiser démancipation, une naturelle et féconde manifestation de la puberté, cest une fornication de la virginité avec la décrépitude, un attentat aux mœurs, un crime comme dabus du tuteur envers sa pupille, cest un humanicide ! Il ny a quune dictature révolutionnaire, quune dictature humanitaire : cest la dictature intellectuelle et morale. Tout le monde nest-il pas libre dy participer ? Il suffit de le vouloir pour le pouvoir. Point nes besoin autour delle et pour la faire reconnaître de bataillons de licteurs ni de trophées de baïonnettes ; elle ne marche escorté que de ses libres pensées, elle na pour sceptre que son faisceau de lumières. Elle ne fait pas la Loi, elle la découvre ; elle nest pas lAutorité, elle fait autorité. Elle nexiste que par la volonté du travail et le droit de la science. Qui la nie aujourdhui laffirmera demain. Car elle ne commande pas la manœuvre en se boutonnant dans on inertie, comme un colonel de régiment, mais elle ordonne le mouvement en prêchant dexemple, elle démontre le progrès par le progrès. Tout le monde au même pas ! dit lune, et cest la
dictature de la force brute, la dictature animale.
Vieille ! cest la Loi, il faut
mourir !
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