"OUVERTURE" À LA QUESTION RÉVOLUTIONNAIRE
Venant de Jersey, Joseph Déjacque débarque à New-York au printemps 1854, et croise l'habituel contingent de familles irlandaises fuyant la famine natale, sans que le libre-penseur ressente d'affinités avec des migrants à ses yeux aliénés par l'obscurantisme catholique. Les réfugiés politiques français, nombreux dans la cité cosmopolite, y ont leur presse et des associations, dont la Société de la Montagne, du nom de l'extrême-gauche parlementaire sous la deuxième république (une appellation reprise de 1792-1794), qui prête sa salle de réunion au nouvel arrivant pour une lecture publique d'un essai sur La Question révolutionnaire. L'usage fouriériste du terme civilisation simple désignation du chaos social contemporain échappa aux montagnards de l'auditoire francophone new-yorkais, effrayés de l'appel à une impitoyable guerre de classe : les prolétaires seront dangereux ou ne seront pas ! D'où l'échange polémique qui ouvre la brochure. Perturbateur expérimenté, l'ouvrier-poète rappelle au passage à ses hôtes de la Montagne qu'ils préconisent de leur côté l'assassinat politique contre la personne de Napoléon III. L'interprétation de ce texte emporté prête à discussion, d'autant qu'une occultation prolongée en complique la compréhension. La facilité d'accès (supposée) aux classiques dépend inconsciemment du bruit de fond des commentaires, renouvelés à chaque génération. Les textes d'un écrivain marginalisé représentent pour la postérité une sorte de terra incognita. Élucider les conditions d'élaboration de l'oeuvre amène à scruter les documents avec une curiosité quelque peu maniaque, comme de consulter une carte à demi effacée. L'affaire est de risquer quelques balises. (voir la rubrique dérives) |