Beaucoup d’appelés et peu de venus

De la Nouvelle-Orléans et en février 1858, il avait été adressé au public l’appel suivant :

Je viens de terminer un écrit révolutionnaire qui a pour titre : L’Humanisphère, Utopie anarchique. C’est un voyage dans le monde de l’Avenir, la photographie d’une société sans Foi ni Loi, se mouvant librement et harmoniquement en dehors de toute autorité religieuse ou gouvernementale. C’est le renversement de la société civilisée. C’est la négation du mal universel et l’affirmation de l’universel bien. C’est la glorification de la liberté.

‘‘Il n’y a de vraies révolution que les révolutions d’idées.’’

J’ai publié successivement : La Question Révolutionnaire, Les Lazaréennes, De l’Être Humain (Lettre à P. J. Proudhon), Béranger au Pilori. Ces publications, imprimées en Amérique, m’ont coûté cher, fort cher. Et pour le moment je ne possède rien, que des dettes. Je suis ouvrier, c’est dire que je ne puis compter sur le produit de mon travail pour payer les frais d’impression de ce nouvel ouvrage.

Prolétaire, – je fais d’abord appel aux prolétaires, gens le plus souvent ou trop pauvres ou trop ignorants pour souscrire à un volume d’études sociales.

Publiciste, – je fais ensuite appel aux bourgeois, les bourgeois les moins liberticides, ceux qui ont quelque poésie au cœur ou quelque idée dans la cervelle, les Michelet, les Girardin, les George Sand, les Daniel Stern, voire même ceux que j’ai pu ou pourrai offenser, l’auteur de Paupérisme, par exemple. Et pourquoi pas ? Ce serait curieux et nouveau de voir un individu faisant profession d’empereur souscrire un abonnement au livre d’un individu faisant profession de liberté.

Et maintenant, mon appel aura-t-il du succès ?

Les prolétaires voudront-ils ou pourront-ils se priver d’un morceau de pain ou d’un verre de vin, et le convertir en un volume de rêveries scientifiques ?

Les bourgeois voudront-ils ou pourront-ils oublier que je suis leur ennemi naturel, et voudront-ils me donner des munitions pour leur faire la guerre ?

C’est ce qui est douteux, pour beaucoup du moins.

Aussi, demanderai-je à ceux qui ont des velléités autoricides, aux natures les moins épicières, de souscrire dix, vingt, cent ou deux cents abonnements à mon ouvrage, chacun suivant ses moyens, afin que je puisse arriver à un résultat affirmatif.

Voyons, bourgeois, répondez. Je vous fais l’honneur, moi, pauvre, de vous demander, à vous, riches, de me procurer les fonds pour publier un livre comme vous n’en avez pas encore lu : en êtes-vous dignes ?

Du reste, souscrivez ou ne souscrivez pas, je ne vous en serai ni plus ni moins reconnaissant. La reconnaissance est la vertu des esclaves. Et, moi, je veux être libre.

Ce que je demande, certes, ce n’est pas une aumône pour racheter les chenets de mes pères. Je suis un gueux, c’est vrai, un déshérité de la famille et de la nation, c’est encore vrai ; mais je ne suis pas de ces truands, familiers de la littérature, qui se tordent le moignon de l’intelligence pour gueuser quelques pièces de monnaie. Je suis un fils légitime du globe et de l’humanité, et ce que je veux c’est une étincelle d’or pour allumer un foyer de lumière.

Voulez-vous être cette étincelle ? Voulez-vous que mon travail ne pourrisse pas dans les ténèbres ? Voulez-vous voir clair ? Voulez-vous que les autres voient clairs ? Hommes de liberté ou d’autorité, amis ou ennemis, payez-en l’impression.

Joseph Déjacque

Nouvelle-Orléans, février 1858.

On souscrit, quant à l’Europe, au bureau du journal ‘‘Le Bulletin international’’, à Londres.

Et quant à l’Amérique, au bureau du journal ‘La Revue de l’Ouest’’, à Saint-Louis, Missouri.

Prix de l’abonnement à un exemplaire : 50 cents ou 2 schillings.

(Une totalité d’environ 1000 abonnements, tel est le chiffre qu’il me faudrait.)

Si des journaux belges, suisses ou piémontais veulent bien reproduire mon appel et ouvrir dans leurs bureaux une liste de souscription, ils sont priés d’en faire parvenir le montant au journal ‘‘Le Bulletin international’’.

Si ce sont des journaux américains, au journal ‘‘La Revue de l’Ouest’’.

La publicité était surtout et particulièrement demandée à deux journaux, l’un de Saint-Louis, La Revue de l’Ouest, l’autre de Londres, le Bulletin de l’Association internationale. La Revue de l’Ouest est le seul des deux journaux mentionnés qui ait fait l’honneur à la demande. Il est vrai que son rédacteur est un homme de discussion et non un croquemort d’idées, comme la grande majorité de MM. les journalistes.

Quoiqu’il en soit, et en dépit de la conspiration du silence, L’Humanisphère paraîtra quand même. Les souscriptions lui ont fait défaut pour être publié en volume, il sera publié par fragments dans ce petit journal.

‘‘Vouloir, c’est pouvoir.’’ – Et je le veux.

J’espère que les personnes qui ont pu souscrire pour cet ouvrage au bureau du journal La Revue de l’Ouest accepteront ce nouveau mode de publication, et qu’ils autoriseront M. Cortambert à m’envoyer les fonds résultant de leur souscription.

Je prie M. Cortambert de vouloir bien en instruire ses lecteurs afin que les souscripteurs, s’il y en a, aient à se prononcer en retirant leurs versements ou en me les abandonnant.

Comme il est facile de s’en convaincre, Le Libertaire n’aspire pas au rôle d’éteignoir. Aussi, malgré le silence immodérément prolongé du Bulletin de l’Association internationale de Londres, a-t-il offert à la Société internationale de New-York d’insérer dans ses colonnes la récente déclaration de principes de cette Société, insertion qui a été refusée par L’Echo braillard, journal de la république queue de bœuf. Le Libertaire n’est pas un liberâtre ; il n’est pas de ceux qui rendent l’autorité pour la liberté, mais, tout au contraire, la liberté envers et contre l’autorité.

‘‘C’est sa manière à lui... d’adorer le bon Dieu.’’


 

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